jeudi 23 juin 2022

La Baïne (Ajour 3)

A la brocante des hasards, il en est d'heureux (beaucoup) mais aussi des malheureux

qui vous laissent un goût de fiel et de sang

Séisme qui vous surprend en pleine nuit, vous laisse hagard, dans vos décombres, en vie encore, c’est déjà ça, mais amoindri, considérablement amoindri

Il est des répliques, qui viennent confirmer, vous êtes bien l’épicentre, et il va falloir encaisser la charge majeure, et les mineures se profileront dans les failles

Tu es passé par la médiathèque, des livres en retard comme d’habitude, et tu es passé au rayon désherbage comme d’habitude, et il y avait ce livre, La baïne, d’Éric Holder, tu le prends bien sûr, et tu le lis séance tenante, comme s’il avait des choses à te dire

Éric est mort. Il est né comme toi, en 1960, mais il s'en est allé, le 22 janvier 2019, dans sa maison du chemin des Geais, à Queyrac, au cœur du Médoc. Tu l'avais découvert en 1997 à La Châtre, à travers On dirait une actrice, un recueil de nouvelles publiées auparavant au Dilettante et rassemblées chez Librio, la collection de livres à dix francs de l'époque. Tu as parlé de tout ça, en même temps que de son dernier livre, La belle n’a pas sommeil, le 13 février 2019.

 

La baïne, c’est le piège mortel du Médoc, un courant violent qui vous entraîne au large, même un bon nageur peut y rester

 

Le livre, c’est une histoire d’amour, il y a toujours de l’amour chez Holder, mais c’est souvent de l’amour malaisé, de l’amour qui fait mal

 

Dans ce livre, tu as épinglé trois passages, qui résonnent fort, pour toi, ta vie, les autres ne comprendront pas, peut-être, tu ne peux pas tout expliquer

 

« Les promeneurs découvrirent des parcelles de lande où les ajoncs flambaient, et, à l’orée d’un bois, une bande d’oiseaux batailleurs, frétillants, exotiques. Des rouges-queues à front blanc, leur apprit Julien, arrivés récemment d’Afrique, lorsque les rouges-queues noirs, présents depuis un mois, ne provenaient que d’Espagne. »

 

Une seule personne, oui, peut vraiment comprendre ce choix

 

« Avec le reliquat des économies, elle invita Julien au restaurant, sur le front de mer en terrasse. C’était l’heure où l’on déléguait au phare de Cordouan, avant-poste du désert salé, les frayeurs nocturnes, lui accordant une vertu de paratonnerre. La tempête, les coups de chien l’atteindraient en premier. »

 

Ah ça Cordouan, tu en as parlé naguère, et c’était avec les mots d’Olivier Rolin :

 

"Le prototype de "l'appareil lenticulaire à feux tournants", installé sur le sommet de l'Arc de Triomphe en août 1822, projeta son éclat jusque sur les hauteurs de Notre-Dame de Montmélian, près de Chatenay, "à 16400 toises de distance", soit pratiquement trente-deux kilomètres. Il fut installé l'année suivante sur le phare de Cordouan, au large de la Gironde, et bientôt les lentilles de Fresnel, remplaçant les vieux réflecteurs paraboliques, équiperont tous les phares de France, d'Europe et du monde (jusqu'à celui de Tsamarkabed sur le lac Sevan, que voyait construire Mandelstam). 

 

Et, enfin, ces lignes où l’on retrouve Julien, cité dans les deux autres passages :

 

« Quelque chose s’est cassé avec Julien, dit-elle.

- [...].

- L’amour s’est éteint sous mes yeux en quelques secondes. Depuis, j’ai beau le secouer, il est mort.

- ça te rend malheureuse ?

- Si la situation devait changer, cela m’ennuierait qu’il oublie les bons moments que nous avons passés ensemble. »

La baïne sera le rendez-vous tragique, qui anéantira tout avenir dans la violence de sa houle.


 

 

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