L'un des deux détenus que je rencontre à la maison centrale de Saint-Maur, dans le cadre du dispositif Lire pour en sortir, choisit toujours dans le catalogue sur le seul critère du titre. Une habitude qu'il ne cherche nullement à dissimuler ou à légitimer : à la question rituelle de la fiche de lecture qu'il doit rendre à l'issue de la rencontre, pourquoi avez-vous choisi ce livre ? il répond invariablement : "A cause de son titre". Bien sûr, il y a quelquefois des désillusions mais, en général, il met un point d'honneur à lire jusqu'au bout le volume choisi. Cette focalisation sur le seul titre peut prêter à sourire, mais je me suis avisé récemment que j'avais d'une certaine manière, en une occasion au moins, suivi la même pente...
Apprendre à parler à une pierre, n'est-ce pas là un titre magnifique ? Annie Dillard, son auteure, américaine née à Pittsburgh en 1945, m'était inconnue. Comment suis-je tombé là-dessus ? Eh bien par l'intermédiaire de François Bon, dont je visionne de temps à autre les vidéos (le bougre est très actif sur son Tiers-Livre). Le 27 mai, ce jour-même où je retrouvais l'épisode du cheval de Turin dans le livre de Geoff Dyer, il ouvrait une session qu'il débutait ainsi : "Deux premières boucles sur des archétypes essentiels de l’accès à la nouvelle, la mise en abîme du livre, la dissociation auteur et personnage. On voudrait consacrer cette troisième séquence d’une même spirale à une exploration autre : en arrière-fond, une réflexion sur l’éco-poétique." Et, un peu plus loin, il écrit : "pour ouvrir cette boucle, je vous propose de revenir au magnifique titre d’Annie Dillard, Apprendre à parler à une pierre, paru en 1982, puis traduction Christian Bourgois (par Béatrice Durand) en 1992."
"Le problème de la préciosité apparaît de manière particulièrement saillante dans certains spécimens de nature writing, où les occasions ne manquent pas de l'apercevoir en train de folâtrer main dans la main avec de profondes méditations sur ce petit caillou singulièrement merveilleux - et singulièrement précieux - qu'est notre planète : "une balle humide projetée à travers le néant", pour reprendre l'imbattable expression de Dillard."
L'appel de note précise que l'expression est précisément tirée d'Apprendre à parler à une pierre.
Un peu plus loin (fragment 14), on a la confirmation que Dyer tient Dillard en haute estime (et par la même occasion, on retrouve Nietzsche) :
"Que l'esprit le plus profond soit aussi le plus frivole": cette formule, de son propre aveu, résume presque à elle seule la philosophie de Nietzsche. L'un des esprits les plus profonds de notre temps, Annie Dillard, a exprimé la déception que lui inspire l'incapacité de la philosophie à "s'attaquer à ce que d'aucuns appelaient 'les questions fondamentales', qui pour la plupart, selon elle, peuvent se ramener à une seule et même interrogation toute simple : "Mais qu'est-ce que c'est tout ce bazar, nom d'un petit bonhomme ?""
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