Depuis le 13 août, rien. Comme si cette soif de poésie qui soi-disant me taraudait s'était évanouie, comme un ruisseau qui aurait disparu dans une anfractuosité du sol. Perte soudaine attendant sa résurgence. Je ne savais pas en réalité si elle aurait lieu, cette résurgence. Caillois et son Fleuve Alphée avaient été, non pas oubliés, - le livre n'avait pas été rangé, il avait toujours place non loin du bureau, à portée d'oeil et de main -, mais il était désormais en attente, dépossédé de toute urgence. Pourtant il avait suscité quelques pensées, les jours suivants ce 13 août...
A Angles sur l'Anglin, je m'étais rendu pour la foire du livre, trois jours de bouquinistes ayant investi les rues du village, qu'il me fallait arpenter en une poignée d'heures, n'y cherchant rien de précis, surtout pas, dans l'espoir seulement de la trouvaille, c'est-à-dire du livre qu'on ne savait pas désirer mais qui s'impose si irrésistiblement qu'on a la quasi certitude que nous n'étions venus que pour lui, pour le découvrir ce jour-là, volume indispensable qui nous entraîne sur une autre piste ou permet d'en prolonger une ancienne qui s'était dissipé dans un trop dense lacis de fourrés.
Que trouvai-je à Angles, ce jour-là, 15 août 2008 ? Tout d'abord les deux tomes des Misérables dans l'édition Folio classique que j'avais failli acheter à Châteauroux quelques jours auparavant. Ce nouveau projet d'adaptation théâtrale y était là comme validé : pour deux euros, j'emportai quelques milliers de pages dont rapidement je commençai l'exploration (et même si, à ce jour, un autre thème s'est fait jour et a finalement repoussé à 2012 le projet des Misérables, l'impression demeure de s'être senti autorisé à partir de cet instant).
La récolte ne fut pas exceptionnelle : deux autres livres seulement s'ajoutèrent aux volumes hugoliens : L'ancolie, de Jean-Loup Trassard, et un essai de Henri Rey-Plaud, Le cercle magique, étude sur le théâtre en rond à la fin du Moyen Age. C'est un peu plus tard que je réalisai que ces deux ouvrages entraient en résonance avec les dernières lignes que j'avais lues de Roger Caillois : "L'écriture des pierres, comme je disais, réduisait toutefois au domaine esthétique un phénomène qui me paraissait d'une plus vaste portée. Malgré moi, poussé par l'évidence, j'avais rangé les minéraux en deux classes principales : ceux qui obéissent aux courbes et les autres où l'angle est despotique. Deux domaines étanches irrémédiablement séparés : d'un côté, la fantaisie des volutes, des méandres dans les motifs des dessins internes et, pour l'extérieur, , les bosses irrégulières, rugueuses, des géodes et des rognons ; de l'autre, la rigueur d'arêtes rectilignes et de biseaux impeccables, une morphologie strictement polygonale, faces planes et lisses comme miroirs d'eaux calmes, architecture parfaite et close, volontiers transparente, mais qui, même opaque, aurait encore nécessité, pour la construire, le secours d'un ouvrier magicien." (Fleuve Alphée, p. 149, éd. Quarto).
Il m'apparaissait avec évidence qu'à travers cette antinomie de la courbe et de l'angle, les deux livres s'inscrivaient sous le registre de la première classe. Pour Le cercle magique du théâtre, c'était clair ; quant à L'ancolie, il suffisait de lire la quatrième de couverture : "(...)La maison d'enfance y est centre d'un cercle qui va s'élargissant : les fermes demeurent tapies dans les écarts et les chemins s'effacent dont l'encre cherche à retrouver la pente.(...)" Or, nous étions à Angles, dont le complément "sur l'Anglin", répète justement la catégorie de la deuxième classe de minéraux établie par Caillois. De cette observation, dont je ne savais pas au demeurant, quelle conclusion tirer (et fallait-il d'ailleurs en tirer une conclusion ?), je me promettais au moins de la consigner ici.
Je n'en fis rien, comme on a vu. Et j'abandonnai Caillois, non sans une certaine culpabilité (une fois de plus, je me dispersai).
Qu'est-ce qui, aujourd'hui, me ramène donc à tout cela ? Quel événement nouveau a fouetté ma paresse ? Rien, sinon un retour à Angles, le 19 octobre dernier, pour un superbe dimanche automnal. Au sortir d'une promenade dans les ruelles du village, j'entrai pour la première fois chez le petit bouquiniste du coin de la place. Et j'y dénichai Les sources de Pierre Gascar, que j'avais cité indirectement dans FGS, à l'ouverture de l'examen de Verseau, grâce à Jean-Claude Pirotte.
Là encore, la quatrième de couverture me fut une de ces petites étincelles de compréhension par quoi le monde semble nous indiquer que nous ne cheminons pas tout à fait seuls : "(...) Jamais le monde n'aura été plus fascinant, plus riche d'enseignements qu'en ces instants où son sort oscille. Jamais ne se sera imposée autant la nécessité de rétablir l'accord originel entre l'humanité et la nature, dans laquelle nous commençons à retrouver des leçons essentielles, même pour ce qui a trait au perfectionnement de notre société. La "mystique matérialiste" définie par Roger Caillois, et qui imprègne cet ouvrage, ne peut que déboucher sur un nouvel humanisme. La plupart des faits rapportés dans ces pages l'indiquent, et l'on comprend que la grande ombre de Bernard Palissy, un des hommes les plus inspirés de notre histoire, les traverse de temps en temps."
Certain passage du livre entrait en résonance avec le thème de la cruche que je ne cessai de développer ces derniers temps dans FGS. Je me devais donc de consigner enfin cette rencontre.
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