jeudi 13 décembre 2018

Le Grand Incendie de Londres

"Mais la meilleure description du contenu d’un projet informatique comme celui que je prépare, je l’ai trouvée chez Robert Hooke (l’homme qui a pressenti, avant Newton, les lois de la gravitation, 1635-1702)."

Chris Marker (texte de présentation du CD-Rom Immemory)

Je ne connaissais pas Robert Hooke (1635 -1703), or il suffit de lire la notice que lui consacre Wikipedia pour prendre la mesure de l'immense savant qu'il était, l'historien des sciences Allan Chapman n'hésitant pas à le surnommer "le Léonard d'Angleterre". De Newton il était le rival détesté, et il semble bien que celui-ci a tout fait pour le rayer de la mémoire des vivants. Ainsi n'y a-t-il, à ce jour, aucun portrait authentifié de Robert Hooke. À son époque, la Royal Society, équivalent de l'Académie des sciences en France, se réunissait au Gresham College où Hooke était professeur de géométrie,  mais quelques mois après sa mort en 1703, Newton est devenu le président de la société et le lieu de réunion a été déplacé. "Lorsque le déménagement a été finalisé quelques années plus tard, en 1710, à Crane Court, le portrait de Hooke, à la Royal Society, avait disparu, et n'a, aujourd'hui, toujours pas été retrouvé. Newton avait alors supervisé le déménagement, et on suppose que le portrait a disparu pendant cette période d'incertitude."

C'est donc de ce génie sans visage que Marker s'inspire pour son entreprise. Il le cite ainsi :
« Je vais maintenant construire un modèle mécanique de représentation sensible de la Mémoire. Je supposerai qu’il y a un certain endroit ou point dans le Cerveau de l’Homme où l’Âme a son siège principal. En ce qui concerne la position précise de ce point, je n’en dirai rien présentement et je ne postulerai aujourd’hui qu’une chose, à savoir qu’un tel lieu existe où toutes les impressions faites par les sens sont transmises et accueillies pour contemplation ; et de plus que ces impressions ne sont que des mouvements de particules et de Corps. »
Et Marker ajoute : "Je dois cette citation, entre autres trésors, au merveilleux petit livre de Jacques Roubaud : L’invention du fils de Leoprepes."
Si je ne connais pas Hooke, je connais assez bien Jacques Roubaud, mathématicien et poète, membre de l'Oulipo depuis 1966, mais pas encore assez car je n'ai jamais lu ni même su l'existence de cet ouvrage, L'invention du fils de Leoprepes. Ce qui excite ma curiosité.



Recherche faite, il s'agit d'un texte rassemblant cinq leçons de poétique lues par Jacques Roubaud à la Villa Gillet de Lyon, les 6 janvier, 3 février, 10 mars, 14 avril et 5 mai 1993. Sous-titré Poésie et mémoire, il a été publié la même année par les éditions Circé. On le trouve d'occasion sur Amazon pour 45 euros. Un peu cher quand même, et puis j'ai décidé une bonne fois pour toutes de ne plus lâcher un seul denier aux esclavagistes.
Je lance alors une recherche dans la base de données de la médiathèque Equinoxe mais le livre n'est pas répertorié.
Une nouvelle requête en ligne me donne tout de même accès à des articles sur Jacques Roubaud et son œuvre mentionnant L'invention du fils de Leoprepes. Dont celui de Nathalie Koble et Mireille Séguy, « D’après mémoire. Les proses fantômes de Jacques Roubaud », Fabula-LhT, n° 13, « La Bibliothèque des textes fantômes », novembre 2014. Une lecture cursive me permet de me rendre directement sur la section 1.2 Théâtres de mémoire, qui me renvoie évidemment à mon précédent article sur le théâtre de mémoire de Giulio Camillo. Je lis ceci :
"Si les livres qui hantent la bibliothèque roubaldienne ont un mode de présence fantomatique, c’est aussi qu’ils relèvent, avant tout, d’un paysage mémoriel qui, pour être immense, est aussi instable et lacunaire. L’analogie de la bibliothèque avec un « théâtre de mémoire » court dans de nombreux textes de Roubaud11. Elle y est toujours couplée à une évocation de la perte, que celle-ci soit délibérée ou, plus classiquement, subie. Dans ‘le grand incendie de londres’, le « théâtre de mémoire » que représente pour l’auteur la British Library l’aide à accomplir le « programme de destruction » qu’il s’est fixé à travers cet ouvrage – et sur lequel nous reviendrons (cf. gril p. 326). Pour « Jacobus Robaldus », l’un des avatars de l’auteur dans Nous, les moins que rien, fils aînés de personne, la bibliothèque, « théâtre de mémoire » intérieur, épouse les contours d’un Atlas dont les zones blanches, Terra Incognita dont les toponymes s’effacent peu à peu, ne cessent de s’étendre au lieu de se raréfier12."
La note 11 confirme mon rapprochement avec Camillo :
"Il s’agit en réalité davantage que d’une analogie : l’expression fait référence au célèbre projet de représentation de l’espace mémoriel dû à l’humaniste Giulio Camillo (cf. L’Idea del theatro, 1550), que Roubaud commente notamment dans L’invention du fils de Leoprepes : « En ce théâtre devait être mis à la fois en dépôt et en spectacle une mémoire de toutes choses connaissables, organisée en système du monde, disposée suivant les gradins et allées d’un théâtre circulaire, à la scénographie commandée par une population d’images empruntées tant à l’iconographie antique (astronomie et astrologie), qu’à la Kabbale. » (L’invention du fils de Leoprepes. Poésie et mémoire, Saulxures, Circé, 1993, p. 48-49). Voir aussi La fenêtre aveugle (prose orale), Courbevoie, Théâtre Typographique, 1996 [Po&sie 22, 1982] (non paginé)."
Je n'ai pas lu non plus Le Grand Incendie de Londres, en revanche le roman est disponible à la médiathèque : il suffit de le ressortir des magasins où il doit sommeiller depuis lurette. Ni une ni deux, je ne peux attendre plus longtemps, j'enfourche mon vélocipède et file récupérer le volume. La lecture en est commencée, mais où cela  me mènera-t-il ? je n'en ai encore aucune idée claire.



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