"Je vais inverser votre empreinte de pas. Parce que vous avez beaucoup emmagasiné sur votre chemin. Tout est là ici, avec vous, dans cette pièce. Venez", dit-elle en se levant."
Kapka Kassabova, Lisière, Marchialy, 2020, p. 474.
A la fin de son périple, Kapka Kassabova, sur les conseils de son amie Marina, va consulter une guérisseuse, une infirmière à la retraite qui aurait vu passer dans son salon deux générations de militaires affectés dans la zone frontalière entre Bulgarie et Turquie, le personnel de l'hôpital régional tout entier (dont des chirurgiens en chef) et des centaines d'autochtones. Comme nombre de guérisseurs ici aussi en France, on ne donne, cadeaux ou argent liquide, que ce que l'on veut bien donner. La guérisseuse, après avoir affirmé que Kapka n'avait pas le mauvais oeil (uroki), ne l'entraîne pas moins dans le rituel de l'inversion d'empreinte, dans la cour d'une maison abandonnée attenante, envahie par la végétation :
"Il fallait un sol non foulé, calme sur le plan énergétique. Elle m'enjoignit de poser un pied par terre, orteils pointant vers l'est. Pourquoi l'est ?Avant le rituel du feu, musiciens et nestinari se tournent vers l'est. Les pieds des morts dardent vers l'est. Le soleil se lève à l'est. Avec son couteau, elle traça le contour de mon pied trois fois, dans le sens contraire des aiguilles d'une montre, tout en marmonnant à trois reprises une incantation que je n'entendis pas. Ensuite, elle retira mon pied et, usant de la lame, délogea la terre retournée à l'endroit où se trouvait mon empreinte.Elle se redressa."Toute la mauvaise énergie reste ici. Tout ce dont vous n'avez pas besoin. Vous êtes libre."
A peine avais-je - nous étions le 24 juin -, lu ce passage que, m'étant tourné vers l'autre livre lu en parallèle (Générations collapsonautes, de Citton et Rasmi), je tombai sur ce paragraphe :
" A l'heure de l'Anthropocène - où s'avère intenable le partage traditionnel entre activité de la sphère humaine et passivité naturelle de l'environnement -, l'échelle, certes fuyante, du climat devient un objet d'attention et d'implication. Comme l'a souligné à maintes reprises l'anthropologue Tim Ingold, le temps qu'il fait n'est pas une simple scénographie immuable derrière nos histoires humaines : nous habitons dedans, nous en sommes imprégné.e.s, nous y laissons des traces. Le monde de notre civilisation surgit au sein d'un milieu météorologique et climatique qui l'influence et qu'elle influence en retour. Chaque empreinte que nous produisons distraitement - depuis nos traces de pas dans un sol mouillé jusqu'à notre empreinte carbone, en passant par la buée de notre souffle - nous rappelle cette imbrication entre nos vies et le milieu où elles se déroulent : tout monde humain est un weather-world3." (p. 107, c'est moi qui souligne)La note 3 de bas de page renvoie à un article de Tim Ingold : "Footprints Through the Weather-World", Journal of the Royal Anthropological Institute, vol. 16, 2010, p. 121-139."
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