vendredi 19 octobre 2012

Du vide encore

J'en reviens une nouvelle fois au vide. Dans Les Hautes Falaises, de Jean-Paul Goux, Simon, le personnage principal, sort tout juste de la dépression, et c'est une sensation de vide qui domine en lui :

Dans ces jours-là où il était en train de terminer sa dactylographie, ce qui s'imposait à lui c'était la même sensation délicieuse qu'on éprouve dans une convalescence, après une maladie douloureuse, lorsque le corps a décidé pour vous de vous laisser en paix et qu'il n'est plus sensible que par les signes de son effacement. Car il se sentait merveilleusement vide, et léger, soulagé - vide, c'est-à-dire de nouveau disponible par ce vide même attirant et appelant à lui ce qui viendrait l'emplir et le combler à nouveau. Ce qu'il se disait aussi, lorsqu'il cherchait à nommer ces impressions si proches de la convalescence par la puissance de leurs effets physiques, c'était que, changeant de registre, adoptant celui d'un administrateur de biens qui vous adresse son contrat de location, il venait de renouveler son bail avec la vie. Et Bastien lui avait téléphoné. (p. 13, c'est moi qui souligne)
Il peut sembler assez paradoxal de donner une valeur aussi positive au vide. Mais c'est sans doute qu'il ne s'agit pas de confondre le vide avec le néant, avec le rien. Le vide est le champ ouvert à tous les possibles, et non pas la négation de tout existant. Ceci me rappelle une passionnante conférence de Jean-Pierre Boutinet, le 18 octobre 2004 au lycée des Charmilles, à Châteauroux. Il y interrogeait le concept de projet. Pour lui, le projet avait besoin du vide. Pour qu'il y ait projet, disait-il, il faut créer du vide. C'est bien en s'appuyant sur le vide nouveau en lui que Simon, de par le formidable appel d'air qu'il suscite, peut reprendre langue avec la vie, retrouver son ami Bastien, puis plus tard accepter sa proposition de s'occuper de la propriété de l’Épine pour y entreprendre tout ce qu'il jugerait bon pour qu'elle demeure dans sa beauté. Car Simon est architecte, et l'art de l'architecte n'est-il pas au suprême degré l'art de construire autour du vide ?

Sans doute est-ce un même vide qu'évoque  Nicolas Bouvier à la fin de L'usage du monde  ? Dans lequel il voit paradoxalement notre moteur le plus sûr. J'ai retrouvé l'expression "cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme" dans le petit texte de La guerre  à huit ans : il en donne la source, ce qu'il n'a pas fait curieusement dans L'usage du monde, il s'agit d' Antonin Artaud, dont il salue la justesse cruelle.

Aubrac - Haut-lieu du vide



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