lundi 22 octobre 2012

Le plein de vide

De Jean-François Billeter, j'avais acheté lors d'un passage à Bayonne en avril 2011, les passionnantes Leçons sur Tchouang-Tseu, parues aux éditions Allia. Dès que j'ai appris la parution d'un nouveau petit volume du savant sinologue, désespérant de retourner au Pays basque avant longtemps, je l'ai aussitôt commandé (en même temps que Le Jardin de Cyrus, de Thomas Browne). J'ai donc reçu Un paradigme, aussi noir de couverture que les Leçons étaient blanches, et il me fut impossible de ne pas entrer immédiatement en lecture, ne fut-ce que quelques pages, me suis-je dit, bien que d'autres ouvrages entamés m'attendaient et que le démon de la dispersion pointait son vilain mufle. Mais, dès la deuxième page, mes scrupules furent balayés. Il n'y avait point de hasard : ce concept de vide que je ne cesse de rencontrer ces derniers jours était une nouvelle fois au rendez-vous.
Billeter commence son étude en parlant de son plaisir à s'installer dans un café pour y réfléchir et laisser les idées s'épanouir : "Dans cet endroit où je ne possède rien, écrit-il, mais dont je prends discrètement possession en disposant à ma guise les quelques objets que j'admets sur ma table, je renoue avec moi-même. C'est un plaisir aristocratique."
C'est dans le paragraphe suivant que se fait le lien avec le vide :

"Quand j'atteins cette souveraine disponibilité, un vide se crée. De ce vide presque invariablement, au bout d'un moment une idée surgit. Je la note si le mot juste se présente. Ces moments sont un plaisir essentiel, dont je ne voudrais être privé pour rien au monde. Quand une idée m'est venue et qu'elle est notée, j'ai le sentiment que, quoi qu'il arrive, la journée n'aura pas été vaine."
En reparcourant rapidement les Leçons, redécouvrant les passages que je soulignai alors au crayon de papier, je m'aperçois que la réflexion sur le vide était déjà présente. Ainsi, pages 141-142 :

" Un artiste, un écrivain est nécessairement un expérimentateur - non seulement dans la mise au point de ses moyens, mais aussi (et tout d'abord) dans sa façon de sentir, de percevoir et de se représenter le monde. Ce caractère expérimentateur est plus ou moins conscient, plus ou moins marqué selon les cas. Il est très prononcé chez Proust et chez Michaux par exemple. Mais cette faculté de défaire et de refaire le monde est universelle. Elle est présente en chacun de nous, et nous est indispensable. Il est vital que nous sachions faire retour à la confusion et au vide quand notre activité consciente est dans un cul-de-sac, qu'elle s'est laissé enfermer dans un système d'idées fausses ou dans des projets irréalisables. Notre salut dépend alors de notre capacité de faire marche arrière, d'aller "évoluer à proximité du début des phénomènes", de retrouver "le vide où s'assemble la Voie". Il faut savoir faire le vide pour produire l'acte nécessaire. L'incapacité de faire le vide comme je l'ai dit, engendre la répétition, la rigidité, voire la folie." [C'est moi qui souligne]

"Le geste joue un rôle central dans nos vies" J.F. Billeter. Ici, mon ami Lionel Tonda me fait une démonstration, en me forgeant une simple cuiller dans son atelier de Montlouis-sur-Loire.


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