samedi 13 octobre 2012

Schneider a été tué cette nuit

Dans L'herbe des nuits comme dans Du plus loin de l'oubli, une jeune femme trouble est au centre du livre. J'ai repris ce mot trouble à l'un des commentateurs. Trouble indique le flou, l'incertitude, le malaise aussi qui règnent autour de la figure de cette femme. De Jacqueline, dans le roman que j'ai lu, le narrateur, pas plus que le lecteur, ne sait rien ou si peu de chose. Son origine, son histoire avant la rencontre resteront inconnues. Le mot amour n'est pas même prononcé, et l'on ignore la nature exacte des sentiments qui la lie au narrateur. Ils fuient tous les deux à Londres, y vivent au départ misérablement  avant de vivre d'autres rencontres qui feront basculer leur vie. Et puis un jour elle ne revient plus à l'appartement qu'on leur a prêté :

Elle ouvrait doucement la porte. Je faisais semblant de dormir.
Et puis, au bout d'un certain nombre de jours, je veillais jusqu'à l'aube, mais je n'ai plus jamais entendu son pas dans l'escalier.
Voilà. Le passage suivant se déroule le samedi 1er octobre 1994. Rien n'est raconté du retour en France. Nous sommes passés d'un seul coup de 1964 à 1994, trente ans enjambés sans coup férir. Le narrateur, rentrant chez lu par le métro, croit reconnaître Jacqueline. Il la suit mais n'ose l'aborder, de peur qu'elle ne se souvienne plus de lui. Au lendemain, premier dimanche de l'automne, prend place le passage que j'ai cité dans le billet précédent.

La page suivante, nouveau saut dans le temps :

"Il y a quinze ans, je m'en souviens, j'avais déjà le même état d'esprit. Un après-midi d'août, j'étais allé chercher, à la mairie de Boulogne-Billancourt, un extrait d'acte de naissance. J'étais revenu à pied par la porte d'Auteuil et les avenues qui longent le champ de courses et le Bois. J'habitais provisoirement une chambre d'hôtel, vers le quai, après les jardins du Trocadéro. Je ne savais pas bien encore si je resterais définitivement à Paris ou bien si, poursuivant le livre que j'avais entrepris  sur les "poètes et romanciers portuaires", je ferais un séjour à Buenos-Aires, à la recherche du poète argentin Hector Pedro Blomberg dont certains vers m'avaient intrigué :
 Schneider a été tué cette nuit
Dans le bistrot de la Paraguayenne
Il avait les yeux bleus et le visage très pâle..."

Intrigant également ce passage, où l'on retrouve ce vide d'août, étudié par Sébastien Chevalier, avec cette mention soudaine d'un poète argentin inconnu mais bien réel. Unique mention, car il n'en sera plus jamais question par la suite. Buenos-Aires, l'Argentine, la mort de Schneider, tout cela évoque bien sûr La mort et la boussole de Borgès.

Héctor Pedro Blomberg
Sur Musicme, La que murio en Paris, une de ses chansons les plus célèbres, dont l'histoire est racontée sur un site argentin :

Sobre “La que murió en París”, otra de sus más famosas letras de tango, diremos que nació de otro viaje. Cuando fue corresponsal en París del diario La Razón, lo acompañó una chica en el rol de secretaria. Una muchacha muy preparada, egresada de filosofía y letras, que se encargaba de difundir por todos los medios las notas que Blomberg escribía sobre el tango. Durante esa estadía la muchacha enferma y muere muy pronto. Así es que Blomberg se inspiró y le dedicó ese recordado tango. Ella se llamaba Alicia Elsa French, y se cuenta que era descendiente del prócer de la Revolución de Mayo Domingo French.


Correspondant du journal La Razón, Blomberg (qui écrivit aussi par ailleurs des scénarios sur mesure pour Eva Peron) était accompagné à Paris d'une jeune femme, fort lettrée, qui avait entrepris de rassembler les notes que le poète écrivait au sujet du tango, mais elle tomba brusquement malade et mourut. Blomberg en fit une chanson mise en musique par Enrique Maciel.




La mort, l'oubli, Paris, les jeunes femmes, oui, vraiment intrigant tout cela... (A suivre)


2 commentaires:

Stéphanie a dit…

"egresada de filosofía y letras" : "ingresada", plutôt, il me semble...

Patrick Bléron a dit…

Ah moi je n'ai fait que copier-coller le texte espagnol, je ne saurais juger. L'expression existe en tout cas : https://www.google.fr/search?q=egresada+de+filosof%C3%ADa&ie=utf-8&oe=utf-8&aq=t&rls=org.mozilla:fr:official&client=firefox-a