dimanche 1 septembre 2019

Experiment in Terror in Twin Peaks

Je ne connaissais le cinéaste Blake Edwards que par ses comédies, j'ignorais complètement qu'il était aussi l'auteur d'un thriller aussi puissant que Experiment in Terror, sorti en 1962 (oublions l'insipide titre français Allo... brigade spéciale). Il passait sur Arte la semaine dernière, mais je l'aurais raté sans Nunki Bartt qui me signala ce film pour son intérêt propre bien sûr, mais aussi parce qu'il offrait de curieuses résonances avec le Twin Peaks de David Lynch. Il faut savoir que je n'avais jamais vu la série et que je suis en train d'achever la vision de la seconde saison, avec, en réserve, la compilation des essais sur Twin Peaks publiée aux Puf par Pacôme Thiellement.

La séquence d'ouverture est d'emblée époustouflante : un soir, en rentrant chez elle dans le quartier résidentiel de Twin Peaks, à San Francisco, Kelly Sherwood (Lee Remick), est agressée dans son garage par un inconnu. L'homme au souffle asthmatique exige d'elle qu'elle détourne pour lui 100 000 dollars à la First Bank où elle travaille, en la menaçant de tuer sa jeune soeur (Stéphanie Powers) qui vit avec elle. Bravant le chantage, Kelly appelle la police, mais l’agresseur anticipant sa réaction est resté dans la maison et coupe la communication. Pourtant, l’appel a été entendu, l’agent du FBI Ripley (Glenn Ford) va venir en aide à la jeune femme…

Le panneau indiquant Twin Peaks, aperçu dans l'ouverture de ce film, ne peut bien sûr manquer d'évoquer le panneau du générique de la série, devenu quasi emblématique.


Image du générique reprise pour la pochette de l'album
Autre écho étonnant  : l'inconnu qui agresse Lee Remick dans son garage, se nomme Garland "Red" Lynch. Ce rôle est brillamment tenu par Ross Martin, qui deviendra célèbre en interprétant plus tard le facétieux Artemus Gordon, personnage bien plus sympathique, dans Les Mystères de l'Ouest, au côté de Robert Conrad.


Le personnage et l'acteur ne sont donnés qu'à la fin du film, après cette hallucinante séquence tournée dans un stade de base-ball. Le cadavre de Lynch est au centre de ce cercle que l'on appelle le Pitcher's mound, dont chacun se détourne en un mouvement centrifuge qui paraît inexorable, comme si le monstre devait rester seul au milieu de l'arène.
Ces résonances avec le Twin Peaks ou Sailor et Lula, de Lynch, sont bien connues  (voir sur le site de l'IMDb ou ce blog). Mais il me semble que l'on peut aller un peu plus loin.
Le scénario du film est en effet écrit par Mildred et Gordon Gordon, d'après leur roman Opération terror publié l'année précédente, lequel fait partie d'une série de polars mettant en scène un agent du FBI du nom de Ripley, repris donc pour ce film. Gordon est tout à la fois un prénom et un nom.
Il est amusant qu'il ait été attribué à Ross Martin pour son personnage des Mystères de l'Ouest.


En outre, dans Twin Peaks, David Lynch fait lui-même quelques apparitions en interprétant comme par hasard un agent du FBI, supérieur direct de Dale Cooper. Sourdingue, il est très drôle car il parle sans cesse d'une voix tonitruante. Or, comment se nomme-t-il ? Ni plus ni moins que Gordon Cole.

Ceci établi, je suis allé à la médiathèque pour emprunter à nouveau L'espace du rêve, le livre de souvenirs que Lynch a écrit avec Kristine McKenna, un pavé de plus de 600 pages que j'avais rendu sans l'avoir terminé. Pas inintéressant, mais désespérément anecdotique. Lynch ne livre pas grand chose des sources profondes de son inspiration et de ses échafaudages intérieurs. Tout est factuel et le titre me paraît usurpé : son espace du rêve, nous n'y entrons pas. Si l'on regarde l'index des noms cités, eh bien aucune mention de Blake Edwards. Rien, néant. Gordon Cole, en revanche, a droit à trois occurrences dont seule la seconde, page 342, peut nous intéresser, car c'est une tout autre version que celle que j'ai imaginée que nous livre Lynch :
"Gordon Cole, dont je tiens moi-même le rôle, est né le jour où l'agent Cooper a appelé son patron à Philadelphie. J'ai imité la voix du patron pour rendre la scène plus réaliste, sans penser qu'on conserverait le dialogue. Je parlais fort pour que Kyle puisse m'entendre, et c'est ainsi que cette figure a vu le jour. Le nom de Gordon Cole vient du film Sunset Boulevard - où Gordon est l'employé de la Paramount qui appelle Norma Desmond pour lui louer sa voiture. Les noms ont parfois des origines très inattendues. Quand j'ai réfléchi au personnage, je me suis dit :"Attendez ! Pour se rendre dans les studios de la Paramount, Billy Wilder a emprunté Gordon Street, puis Cole Street, et ce sont ces rues qui lui ont inspiré ce nom !"Ainsi, mon apparition dans Twin Peaks est un hommage à Billy Wilder et à Hollywood."

Aucun doute sur Sunset Boulevard comme motif  influent : Mulholland Drive en témoigne assez. Kristine Mc Kenna signale plusieurs références précises au film de Wilder : un plan montre l'entrée des studios Paramount devant lesquels passe Norma Desmond, et une voiture garée sur le parking est identique à celle qui apparaissait cinquante ans plus tôt.
Il reste que je soupçonne fort David Lynch d'avouer une influence pour en dissimuler une autre. Je ne peux pas croire qu'il n'ait pas été frappé par le film de Blake Edwards. Il n'en parle pas mais il laisse tout de même traîner quelques indices éclairants. Il faut se reporter à la biographie du personnage telle qu'elle est retracée sur le site TwinPeaks.fandom. Et tout d'abord, l'extrait suivant :
"Cole was contacted by Douglas Milford one year after the demise of President Nixon, helping him to secretly continue Project Blue Book."
Qu'il faut relier à cet autre :
"After the demise of Nixon, his only trustful ally to continue his activities in Twin Peaks was a man from the FBI who was recommended by Nixon: Gordon Cole."
Récapitulons : l'ex-président Nixon recommande au lieutenant Milford l'agent du FBI Gordon Cole.
Or, comment s'appelle très précisément la femme de Gordon Gordon ? Mildred Nixon.
Le couple Gordon est d'une certaine manière dupliqué par le couple Milford : le lieutenant Douglas Milford a en effet un frère, Dwayne, qui devient maire de Twin Peaks en 1962, année de la sortie d'Experiment in Terror. Une lutte fratricide s'est engagée, et en 1962, Douglas "Dougie" écrira un éditorial contre son frère sans résultat : Dwayne est élu et le restera jusqu'en 1990.
Enfin, on peut lire :
"In early 1983, Cole and Special Agent Phillip Jeffries visited the town of Twin Peaks, supposedly in order to investigate the construction of the Listening Post Alpha facility by the U.S. Air Force on Blue Pine Mountain that Mayor Dwayne Milford and a number of locals were concerned about. Afterward, Cole sent the mayor a letter stating that he had personally spoken to the project supervisor Major Garland Briggs and his superiors and determined that the base was a new radar and weather forecasting facility, part of President Reagan's new Strategic Defense Initiative also known as the "Star Wars" project. "
Le Major Garland Briggs ne fait-il pas écho au Gardand "Red" Lynch du film de Blake ?

Une dernière chose : le vrai nom de Ross Martin était Martin Rosenblatt. Né en Pologne à Gródek (aujourd'hui Horodok en Ukraine), le 22 mars 1920, il émigra avec sa famille aux Etats-Unis. Diplômé d'études supérieures avec mention, notamment en droit, il commença sa carrière de comédien à Broadway (Hazel Flagg en 1953). Son goût pour le travestissement, qui s'exprima pleinement dans Les Mystères de l'Ouest, se donne déjà à voir dans le film de Blake Edwards, comme dans cet extrait où il est grimé en vieille femme :


1 commentaire:

blogruz a dit…

Comme je suis jadis tombé amoureux de Lee Remick dans un film de Kazan où elle était lumineuse, j'ai regardé Experiment in terror. Lee Remick travaille dans une banque, où on la voit passer derrière un guichet SCH - Z, ce qui m'a aussitôt évoqué mon nom, SCHULZ.
Ensuite, je me suis souvenu que ma dilection m'avait fait hypographier le nom de l'actrice à la fin du chapitre 5 de Sous les pans du bizarre, sous la forme L R MI CK.
Plus de détails en note finale de mon dernier article, avec une capture d'écran.

Un petit truc: le petit Joey est né un 26 juillet (7/26), comme Blake Edwards (et comme le céphalopode entête, et comme Jung). Ceci rappelle JJ Adams, né un 6/27, et qui case volontiers le nombre 627 dans ses films ou séries.