mardi 23 novembre 2021

J'irai dans les sentiers

13 novembre, sur les étals arcaniens un nouveau Pajak. Frédéric Pajak, J'irai dans les sentiers, aux éditions Noir sur Blanc. Le bandeau rouge mentionne Arthur Rimbaud, Lautréamont et Germain Nouveau, trois poètes qui "ont en commun d'avoir été des poètes très jeunes et d'avoir vécu à Paris dans les années 1870". Le dessin de couverture ne les représente pas, pas un seul des trois, il nous invite à suivre une allée claire s'enfonçant toute droite dans un paysage dominé par les masses obscures des feuillages d'une forêt. La sente est comme menacée par les griffes ombreuses des taillis. Dessin typiquement pajakien, avec cette force du noir profond comme l'angoisse. Inutile de faire le malin : il faut avaler cette rafale d'eau-de-vie sans plus attendre. 


18 novembre. A Aigurande, où je dors cette nuit pour être au plus près des travaux de couverture commencés dans la ferme familiale, je lis le Petit éloge de la poésie par Jean-Pierre Siméon. L'auteur y écrit que "le poème est un seuil qui mène à l'intensité perdue d'une présence pleine à soi, au tout de la vie, à la vertigineuse intensité du réel et à l'ivresse d'être qui naît en nous de simplement l'approcher." Et il poursuit : "Cela ressemble fort, direz-vous, à quelque révélation amoureuse, il y a de l'électricité là-dedans, un coup de foudre. Oui, mais cet amour-là passe l'ordre des amours ordinaires, il est celui dont parle Rimbaud, Rimbaud qui en a tout dit. Vous souvenez-vous ?

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme." (p. 22)



J'irai dans les sentiers. Evidemment, le titre du récit dessiné de Pajak, lu il y a quelques jours, me remonte aussitôt en mémoire, en une nouvelle rasade cul sec de poésie hallucinée. Ce poème, daté de mars 1870, a été envoyé avec deux autres à Théodore de Banville, avec ces mots : "Cher maître, nous sommes aux mois d'amour ; j'ai [biffé : presque] dix-sept ans. L'âge des espérances et des chimères, comme on dit, - et voici que je me suis mis, enfant touché par le doigt de la Muse,  - pardon si c'est banal - à dire mes bonnes croyances, mes espérances, mes sensations, toutes ces choses des poètes - moi j'appelle cela du printemps." (Voir la lettre en entier sur Wikisource)

Rimbaud ment : il n'a pas dix-sept ans, mais quinze. En tout cas, Banville ne répond pas. Du moins, selon Pajak, car la notice Wikipédienne affirme qu'il répond mais que les poèmes ne sont pas publiés. De même, il est dit qu'il héberge Rimbaud en novembre 1871, ce que Pajak, qui suit pourtant de très près l'itinéraire rimbaldien, ne mentionne pas. Qui croire ? (je penche pour Pajak)

21 novembre. Gabriel passe une soirée avec moi avant de repartir à Nantes. On cherche un film à regarder ensemble : il hésite avec le J. Edgar de Clint Eastwood, mais choisit finalement l'adaptation du best-seller d'Anna Gavalda, Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part, d'Arnaud Viard. Et j'ai la surprise de retrouver les mêmes vers de Rimbaud dans une des plus belles séquences de ce film, où Juliette (Alice Taglioni), professeure de français, fait passer l'oral du bac à un jeune homme qui l'émeut si profondément par son commentaire du poème qu'elle lui donne la note de 20/20. En recherchant d'autres données sur ce film, je tombe sur ce début d'article rédigé à l'occasion de l'Arras Film Festival, qui montre bien la force attractive du poème :

« Je ne parlerai pas, je ne penserai rien, mais l’amour infini me montera dans l’âme ». Ces quelques vers de Rimbaud, tiré du poème Sensation cité dans le film Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, expriment à la perfection les sentiments complexes des membres de la famille Armanville. Comme Rimbaud à son plus jeune âge, Jean-Pierre, commercial de 48 ans, peine à trouver sa juste place auprès des siens. Arnaud Viard, dans son adaptation de l’ouvrage d’Anna Gavalda, dresse le tableau d’une famille authentique par ses complexités. 



*

Rien à voir (mais sait-on jamais). je suis heureux d'apprendre que Kapka Kassabova, dont j'ai chronique voici peu le dernier livre paru en français, L'écho du lac, a reçu le Prix du Meilleur Livre Étranger 2021 – Non-Fiction. Prix qui sera remis le jeudi 25 novembre, lors d'une cérémonie au Sofitel à Paris. 
Le même jour, aura lieu un hommage à Cécile Reims au Musée d'art et d'Histoire du Judaïsme (merci à Tristan pour l'information).
Il me plaît que ces deux femmes, venues toutes les deux de l'Est de l'Europe, même si par ailleurs bien différentes et éloignées par le fossé des générations, soient symboliquement réunies par cette conjonction de date.

Enfin, détail sans grande importance, mais je tiens quand même à le souligner, Alluvions a passé la barre des 500 000 pages vues. C'est l'occasion de remercier vivement lectrices et lecteurs qui s'attardent ici de temps à autre. Leur présence m'est un encouragement à poursuivre.




2 commentaires:

fredologie a dit…

bonjour,
à propos de l'hommage à cécile, je me permets de partager ici la vidéo de la soirée, mise en ligne par le mahj.
https://www.youtube.com/watch?v=n5TuA7HAgv0

salutations,

tristan

Patrick Bléron a dit…

Merci, Tristan !