mardi 17 janvier 2023

Avatar et l'impasse de l'Océan

On s'était promis d'aller voir Avatar La Voie de l'eau, ma fille Violette et moi, pendant les vacances de Noël. Mais les jours avaient filé et il n'y avait plus devant nous que cette ultime soirée du dimanche. Le lendemain matin, elle devait repartir pour Paris, commencer un nouveau semestre inédit sanscrit-philosophie. On venait la veille de fêter ses dix-huit ans. 

Alors qu'on nous avait raconté que certains soirs la salle était comble et que certains avaient dû rebrousser chemin, nous trouvâmes le hall désert. Nous avions échappé à la grosse vague d'affluence ; arrivés juste à temps au CGR c'est aussi l'interminable caravane publicitaire d'avant-film qui nous était épargnée. Bon, lunettes 3D sur le museau, nous avons plongé dans les abysses de Pandora. Trois heures dans la splendeur d'un autre monde, nous n'avons pas boudé notre plaisir. Ce qui est étonnant chez James Cameron c'est l'égale attention à deux mondes antipodiques : celui de la technologie, avec des machines de mort ultra-sophistiquées, et celui d'un écosystème naturel, ici marin, littéralement paradisiaque, sur lequel la caméra s'attarde volontiers, retardant le climax final qui en devient d'autant plus haletant. Ce qui dépayse le moins, et même pas du tout, c'est le cadre des mentalités : on a beau être sur Pandora, les Na'vis, malgré leur spiritualité exacerbée, n'en éprouvent pas moins grosso modo les mêmes sentiments que les humains. L'épisode n'en finit pas d'explorer les rapports filiaux. Le personnage principal n'est plus vraiment Jake Sully mais l'un de ses fils, Lo'ak, qui peine à trouver sa place dans la famille, qui se sent rejeté et incompris et dont, comme il fallait s'y attendre, l'intervention sera décisive dans le happy end.

Lo'ak et le tulkun Payakan

Rentré à la maison aux alentours de minuit, mais n'étant pas encore prêt au sommeil, je jette un oeil sur le site et constate l'arrivée, dans le top 10 des articles les plus consultés, d'un billet, sinon ancien, du moins pas des plus récents, Avant d'en partir à la cloche de bois. Il était consacré à un film très parisien, Saint Jacques Gay Lussac, de Louis Seguin, que j'avais vu sur Mubi en février 2021. Il venait en écho du film Saint Jacques La Mecque, de Coline Serreau, vu un mois auparavant. Ce qui m'amusa c'est  la résonance maritime, que j'avais alors enregistrée entre les deux films, et qui en l'occurrence se prolongeait avec Avatar. J'écrivais ainsi : "La virée nocturne ne finira pas sur les plages atlantiques comme pour les randonneurs de Serreau, mais l'Océan est tout de même présent avec l'Institut Océanographique (rebaptisé Maison des Océans), que Hugues, l'un des personnages, a fréquenté pour ses études, ce qui nous vaut un plan bien assumé sur le portail d'entrée. "


Ensuite je lus quelques pages de Walter Benjamin, Histoire d'une amitié, de Gershom Scholem. La fatigue arriva enfin, mais une dernière impulsion, tout à fait irraisonnée, me fit ouvrir un de ces recueils de poésie qui se trouvent à portée de main, à mon chevet. Il s'agissait là de Gift Songs de John Burnside. Je le redis, ce livre n'avait rien à voir avec Benjamin et Scholem, et rien non plus a priori avec le film de Cameron. Pure intuition, comme cela m'arrive parfois, un geste commandé par une instance invisible. J'ouvre ce mince volume, et tombe sur ce poème intitulé Saint-Nazaire, avec une épigraphe de Karl Marx : In history, as in nature, decay is the laboratory of life. Decay, la pourriture, la décomposition. Poème lui-même en cinq parties, et la première, en cette page 49, se nommait Impasse de l'Océan.

(...) I'm walking through the windless inner town
- breeze blocks, mongrels, smashed glass, chantiers -
walking towards the sky, and the smell of the tide

and reading the names from a map, rue Lumière,
impasse de Toutes Aides, 
impasse de l'Océan
. (...)

Les mots en italique, en français dans le texte, étaient annotés et traduits en anglais d'une fine écriture au crayon. J'avais acheté Gift Songs au Charity Shop du petit village de Saint-Germain de Confolens, le 4 février 2017, à l'époque où ma petite soeur Marie y vivait encore avec toute sa famille.


J'ai d'ailleurs évoqué le livre dans un article de mai 2021, Gift Songs of Underland. Article consacré surtout à l'écrivain britannique Robert Macfarlane, lequel cite, comme par hasard, Walter Benjamin

Après un tel jeu de résonances océaniques, je pouvais enfin me laisser couler dans les profondeurs de la nuit.

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