Restons à Paris, mais risquons un pas de côté. Il y a un mois exactement, je rendais compte d'un film de Coline Serreau, Saint Jacques La Mecque, qui m'introduisit sur la thématique du A. Cinq jours plus tard, la plateforme Mubi me proposa un autre film, un moyen métrage, dont le titre n'était pas sans rapport avec le précédent : Saint Jacques Gay Lussac, du jeune cinéaste Louis Séguin, sorti en 2019, ne racontait pas un pèlerinage vers les extrémités occidentales du continent, mais une déambulation paresseuse dans le quartier Latin, de bar en bar*, sur les pas d'un jeune homme triste qui ne se remettait pas d'une rupture amoureuse. La première vision de ce film ne m'avait guère enthousiasmé : les discussions, les bavardages avec les amis de rencontre inclinaient à l'ennui et à la futilité. L'ayant revu ce matin avant qu'il ne disparaisse de la plateforme (ce qui explique en partie l'origine de ce billet), je suis moins sévère et je pense qu'il y a à glaner au-delà des apparences.
Tout d'abord, il faut souligner que l'opposition n'est pas si irréductible que cela entre le film de Serreau, tourné dans les paysages souvent grandioses du Massif Central et de l'Espagne, et le film de Séguin, ancré dans le seul quartier délimité par les deux rues Saint Jacques et Gay-Lussac qui se croisent en X.
Cette rue Saint Jacques était en effet, le principal axe nord-sud gallo-romain (le cardo) sous le nom de Via Superior : c'était la route de Genabum (Orléans) depuis la rue des Feuillantines jusqu'au boulevard de Port-Royal**. Au Moyen Âge, elle est empruntée par les pèlerins qui se rendent à Saint-Jacques-de-Compostelle, depuis l'église Saint-Jacques-la-Boucherie, dont l'actuelle tour Saint-Jacques est le dernier vestige, par les rues Saint-Jacques, du Faubourg-Saint-Jacques et de la Tombe-Issoire.
Est-ce une volonté consciente du réalisateur ? je ne sais, mais toujours est-il que le "pèlerinage" de Jimmy, le jeune homme mélancolique, se déroule sur sept stations qui sont autant d'estaminets (Gay-Lussac, La Bonbonnière, Pub Gay-Lussac, Le Week-End, Le Traiteur Bambou et le Pantalon), et il rencontre en chemin sept jeunes différents (six garçons et une fille).
La virée nocturne ne finira pas sur les plages atlantiques comme pour les randonneurs de Serreau, mais l'Océan est tout de même présent avec l'Institut Océanographique (rebaptisé Maison des Océans), que Hugues, l'un des personnages, a fréquenté pour ses études, ce qui nous vaut un plan bien assumé sur le portail d'entrée :
Enfin, c'est le réalisateur lui-même, jouant dans le film le dernier jeune rencontré, qui sort de sa poche L'homme qui dort, de Georges Perec, le donnant à lire à Jimmy :
L'histoire de cet homme qui dort, troisième roman de Georges Perec, publié en 1967, histoire d'un étudiant qui se referme sur soi, et sombre dans l'indifférence au monde, a été adaptée par Perec lui-même et Bernard Queysanne, avec Jacques Spiesser dans le premier rôle, et une voix-off par Ludmila Mikaël. On peut le visionner sur You Tube.
On peut noter une certaine ressemblance physique entre Jacques Spiesser et Aurélien Gabrielli qui interprète Jimmy dans le film de Louis Séguin :
Malgré tout, je n'aurai peut-être pas consacré un article à cette collision entre les deux films, si je n'avais pas acheté le 4 février un tout petit livre tout à fait admirable, Funambule majuscule, Lettre à Pierre Michon que lui adresse son ami, l'acrobate devenu écrivain sur le tard, Guy Boley, et à laquelle Michon répond ensuite.
C'est dans cette réponse, titrée Cirque Royer-Collard, que j'ai lu les lignes suivantes :
"De ces quelques années parisiennes, je veux te raconter seulement l'épisode Royer-Collard.
J'étais sans feu ni lieu fixe, mais j'ai habité quelques mois une pension de dernière catégorie, rue Royer-Collard, dans le tronçon sinistre qui joint la rue Saint-Jacques à la rue Gay-Lussac, avant d'en partir à la cloche de bois. [...]
Toi, Guy, je ne sais pas si tu as été un jour comme moi l'esprit qui toujours nie. J'incline à croire que non, tu as la force et quelque chose qui ressemble à la bonté. Mais je sais que quand je t'ai rencontré, je me suis dit ce que je me serai dit si je m'étais rencontré moi-même rue Royer-Collard : ce type ne fera rien en littérature. Et puis tu es passé à l'acte. Tu as dansé de pilier à pilier. Tu as écrit Fils du feu.
Croyons aux trampolines. Disons-leur oui."
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* [Ajout du soir : je lis à l'instant dans Libération un entretien avec l'anthropologue Marc Augé. Le passage suivant entre directement en résonance avec le film de Louis Séguin :
** Je ne puis bien sûr que me réjouir de retrouver Port-Royal (le boulevard tient évidemment son nom de la proximité de l'abbaye), qui nous accompagne donc encore cette fois-ci. Accessoirement, un des jeunes montre sur l'écran de son portable que l'itinéraire qu'ils suivent a la forme d'un huit (mais on pourrait dire aussi qu'il s'agit là du lemniscate, symbole de l'infini).
Si l'on observe bien, si l'on zoome sur l'image, on décèle une petite rue au nom de Pierre Nicole, le Solitaire aimé de Pascal Quignard.
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