mardi 2 février 2021

Ressuscitant par les chemins des rêves

Une première question s'impose : qu'est-ce que ça peut bien être qu'un hyperrêve ?

Googlons le mot : la première page nous donne  huit renvois à la bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu et un seul à Hélène Cixous. Les pages suivantes ne font que confirmer ce ratio. Aucun autre auteur n'est cité, il semble donc bien que la notion d'hyperrêve est commune et restreinte à Cixous et Mathieu. Et je suis sans doute le seul à les avoir mis en relation.

Tout cela ne nous donne de définition pour autant. Examinons alors les émergences du mot dans les deux oeuvres.

Première surprise : j'ai eu beau chercher, le mot hyperrêve n'existe pas ailleurs que dans le titre de l'album de MAM. Certains commentateurs assurent que le rêve de Julius Corentin est entré en collision avec celui de son voisin Hilarion, transformant le tout en hyperrêve, mais ce n'est pas exactement ce qui est raconté.


Ce rêve-errant de force 8 serait donc l'hyperrêve ? Sans doute, mais curieusement, MAM n'emploie jamais le mot. Et finalement, ce sera plutôt avec Hélène Cixous que la cueillette sera plus riche.

La première apparition est à la toute fin du Prière d'insérer, traditionnellement texte d’accompagnement d’un livre, d’une collection ou d’un article, motivant l’intérêt de le publier ou d’en parler. Souvent repris en quatrième de couverture, il est à l'inverse placé ici au début de l'ouvrage, dans un format légèrement plus petit - ce qui rappelle incidemment le jeu de MAM avec la page 41, correspondant au chapitre 6, Le quasi-tout et le presque rien (titre à la Jankélévitch*), qui se décline en pages de plus en plus petites, étiquetées 41,1, puis 41,2, etc, puis 41,89 jusqu'à 41, 99. 

Et je m'aperçois en le relisant que ce Prière d'insérer est d'une richesse fabuleuse (je le retrouve intégralement reproduit sur le site de Régine Detambel, ce qui me facilite les choses). En voici l'incipit :

« Intus et in cute
J’oignais ma mère. “Je fais la peau de maman” me dis-je. C’était un peu avant la fin, tu es le temps, pensais-je, le temps d’avant la fin. J’habitais maintenant avant la mort de ma mère, je regardais ma mère se lever et se coucher tous les jours à mon horizon, avec une admiration bouleversée je me vivais d’angoisse.
Les derniers temps, me dis-je, je n’ai pas arrêté de sentir que tout a changé, tout ce que j’appelle “tout” confusément, a commencé à se passer tout autrement qu’avant les Événements. Tout d’un coup, je suis passée sous le régime des “derniers temps”, je veux dire les ultimes, ceux qui vont venir, mais qui ne sont pas sans connivence avec “les derniers temps” ceux qui viennent de se passer. Les uns s’éloignent vers le passé, les autres s’éloignent dans l’avenir. La différence entre les derniers temps ultimes et les temps derniers c’est que ces derniers ont une date, alors que les ultimes, non."

 "je regardais ma mère se lever et se coucher tous les jours à mon horizon", "tout ce que j’appelle “tout” confusément, a commencé à se passer tout autrement qu’avant les Événements." Horizon, Événements, ce sont là les mots-mêmes du titre du chapitre 7 de MAM, avec la fameuse page 44 origamienne :


Je saute à la fin du Prière d'insérer :

"À la fin la mort gagnera. Mais jusqu’à la fin on ne sait pas qui gagne.
Je serai cette peau demain
J’oins ma vieille heaulmière je me confesse
Je serai cette peau demain
Et l’oignant je cultive les temps, les étale à deux mains l’un sur l’autre le sien le tien le mien le nôtre, je broute et je rumine l’avenir. J’étudie : comment la mort fait sentir ses morsures délicates et compliquées. Comment elle est déjà un peu là, mordillant. Ses incursions. Comment la vie les lui rend. Comment elle reprend forces et corps en suscitant, citant, ressuscitant par les chemins des rêves.
Or c’est en ces temps-là, au moment où tout est perdu que je trouverai enfin la réponse à la mort, le chemin du bonheur dans la douleur : c’est autre-chose-qu’un rêve, c’est l’hyperrêve."

L'hyperrêve, le voici enfin, au bout du bout. Le récit peut commencer.

Je réalise une autre chose : la phrase d'Hyperrêve citée par Cécile Wajsbrot était précisément issue du Prière d'insérer.

Et puis une autre : Cixous écrit que c'est au moment où tout est perdu qu'elle trouvera enfin la réponse à la mort. Et je songe que la mort est l'autre inconnue de l'album de MAM. Pas plus que l'hyperrêve n'y figure à l'intérieur, la mort n'y a droit de cité. La logorrhée des trois rêveurs est emplie d'infini mais vide de la pensée de la mort.

J'avance à tâtons, chaque jour, et que celui qui y voit plus clair que moi  me lance un fanal.

On continuera demain.

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* En 1980, le philosophe Vladimir Jankélévitch publiait en trois tomes "Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien". Voir France-Culture, où l'on peut lire sur la page de l'émission :

" Comme toutes les choses très importantes, plus elles jouent un grand rôle dans notre vie, plus elles sont impalpables, invisibles et manipulables. Ce n'est pas un nouveau concept que j'aurais inventé et qui s'ajouterait à la liste déjà longue des concepts qui meublent l'histoire de la philosophie. Je prétends à autre chose : ce n'est pas un concept, ce n'est pas un joujou avec lequel on puisse jouer ce "je ne sais quoi". Il faut bien donner un nom à ce qui est impalpable, après tout c'est le métier des philosophes et de la philosophie !"

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