mercredi 15 novembre 2023

Polar Park et la Cène

Les deux jeudis soir derniers, j'ai pris grand plaisir à visionner la série Polar Park sur Arte. Gérald Eustache-Mathieu y adaptait son propre  film Poupoupidou sorti en 2011, avec les mêmes personnages et sur le même lieu, le village de Mouthe , dans le département du Doubs. Mouthe, un nom qui ne m'était pas inconnu, c'est mon ami Babar, à l'époque où nous étions tous les deux normaliens à Châteauroux, qui m'avait déjà parlé de ce village comme étant l'endroit le plus froid de France (sa future femme vivait non loin de là, à Salins-les-Bains). 

L'excellent Jean-Paul Rouve incarne David Rousseau, un écrivain de polars un peu en mal d'inspiration qui débarque à Mouthe (où, dans l'enfance, il venait passer des vacances chez son oncle) au volant de sa Peugeot 504 cabriolet blanche. Un des premiers plans du premier épisode la montre dans la forêt passant devant un panneau « Bienvenue à Mouthe 905 Habitants ». Référence directe à un plan du générique de Twin Peaks, avec une route dans la forêt et le panneau « Welcome to Twin Peaks Population 51,201 ». Ce ne sera pas le seul écho à la série de David Lynch




D'une manière générale, Polar Park est truffé d'allusions plus ou moins évidentes non seulement à Lynch, mais à Fargo des frères Coen, à Seven de David Fincher ou à Misery de Rob Reiner (pour le détail, se reporter à la notice de Wikipedia, assez complète). La citation est d'ailleurs au coeur de la série, car le tueur qui sévit dans Polar Park s'évertue à mettre en scène  ses meurtres en reconstituant des œuvres d'art célèbres. Cela commence avec l'Autoportrait à l’oreille bandée et à la pipe de Vincent van Gogh, et se poursuit avec la Marilyn Monroe d’Andy Warhol, le David de Michel-Ange, un portrait féminin de Picasso, et une compression de César

Mais la reconstitution qui m'a le plus marqué c'est la sixième et dernière, qui reprend la Cène de Léonard de Vinci (en la croisant avec le thème du Ku Klux Klan, allusion au roman de David Rousseau qu'il ne parvient pas à terminer).



Il est amusant de voir que dans l'épisode 2, la fresque est brièvement entrevue lors d'une recherche de David Rousseau (je ne l'ai évidemment notée qu'après coup).


C'est un autre souvenir d'importance pour moi qui a resurgi à ce moment de l'histoire:  la scène finale du spectacle Les Misérables 62, que j'ai monté dans les ruines de Cluis-Dessous dans l'été 2012. J'y ai consacré à l'époque un article qu'on peut encore lire ici


J'écrivais alors : 
"La fin de Jean Valjean, c'est presque cent pages dans l'édition Folio d'Yves Gohin. Comment traiter cette rude partie de l’œuvre, où le malheureux forçat, après le mariage de Cosette, connaît l'abandon et la solitude avant de retrouver in extremis avant de trépasser fille et gendre ? Les cinéastes ne sont pas très à l'aise avec ce fragment qui sent un peu trop l'eau bénite, traîne en longueur, et prive le spectateur d'un happy end qui était tout cuit. D'ailleurs Bille August, dans sa version de 1998, en fait l'économie et termine sur les quais de la Seine, après le suicide de Javert et la libération de Jean Valjean.
Même chose dans Tempête sous un crâne, l'adaptation théâtrale vue à Equinoxe. A l'été 2011, au moment de l'écriture, j'ai eu la même tentation mais je me suis ravisé : cela m'apparaissait comme une facilité, sinon une trahison. Cependant, je répugnais à l'envisager comme le reste du livre. Je voyais trop clairement le parti-pris de Hugo, qui voulait que Jean Valjean vive jusqu'au bout un destin christique, assume jusqu'à la dernière extrémité une Passion douloureuse et sublime.
Quand l'image de la Cène de Léonard de Vinci s'imposa à moi, je fus enfin libéré. Puisque religion il y avait, autant y aller carrément. Tout commencerait par une reproduction de la fresque avec ses figures, les disciples, leurs gestes et leurs attitudes. Quels seraient-ils ? Rien moins que des personnages de l'histoire, mais pas les principaux, ni Javert ni Thénardier par exemple. Les autres, les seconds rôles, la pègre, douze ni plus ni moins et Jean Valjean au centre, hiératique, mutique. Et que diraient-ils, ces douze ? Et bien ils raconteraient l'histoire mais telle que moi-même je l'avais comprise, sans être dupe des intentions de l'auteur, en s'en moquant à l'occasion. Après la pose initiale, sacrale, ce serait débridé, joyeux, irrévérencieux."

Ce n'est pas tout. Il y a une autre référence religieuse dans la série qui ne m'a pas laissé indifférent. Mais ce sera pour la prochaine fois.

3 commentaires:

blogruz a dit…

J'ai beaucoup apprécié Polar Park aussi, et remarqué que le livre que consulte Rousseau est Le nombre d'or de Gary Meisner, une connaissance dont je ne partage pas toutes les vues, mais qui a fait quelques découvertes remarquables.
J'ai particulièrement apprécié ses découvertes sur les fresques de la Sixtine (le générique y fait allusion), commentées dans mon post Michelangelo, the ceiling needs painting (c'est en français).

blogruz a dit…

Il y a eu aussi un film débile, Les rivières pourpres 2, montrant une reconstitution de la Cène de Léonard, où tous les figurants sont ensuite assassinés. J'en ai dit quelques mots ici.

Patrick Bléron a dit…

Merci, Rémi, pour ces liens précieux. qui ouvrent de nouvelles perspectives.