A la quadruple occurrence de la catachrèse, je voudrais ici ajouter une sorte de post-scriptum.
Pour rappel, j'avais commencé avec Tanguy Viel et son Vivarium et terminé avec Nunki Bartt et son Rôdeur. Or, j'avais prévu dès le 2 avril d'écrire un petit texte reliant ces deux-là. L'idée m'en était venue après une balade que nous fîmes ce jour-là, Nunki et moi, dans la forêt de Châteauroux. Nous avions décidé de refaire la promenade dite de Mortaigues, une boucle que nous avions prise cette fois-ci en l'abordant par la route de Velles. Or, le panneau qui l'annonçait était sinistrement barré de noir, à cause d'un chantier forestier en cours. La promenade était interdite, ce qui contredisait nos plans, mais nous décidâmes d'un commun accord de ne pas en tenir compte (c'est que nous avons l'âme rebelle, nous les baxtériens). La longue sente qui menait vers le carrefour Pèlerin n'offrit tout d'abord aucune difficulté, de là nous gagnâmes le carrefour du Pin puis prîmes à droite le chemin blanc avant de repiquer dans la forêt sur un sentier étroit et tortueux. C'est un peu plus loin que nous tombâmes enfin sur le chantier. Personne n'y travaillait cet après-midi là, mais les arbres abattus, les tas de branchages en tous sens rendaient la marche difficile, obligeaient à des détours dans des sous-bois parfois marécageux. La promenade splendide que nous avions arpentée naguère encore était méconnaissable, la signalétique jaune avait à peu près disparue et nous avancions au jugé. Une colère noire grondait chez Bartt comme l'orage soudain qui nous avait surpris la dernière fois. La catachrèse avait cédé le pas à la catastrophe.
L'autre surprise avait été ce chevreuil aperçu sur la grande allée, et qui s'était figé longuement comme s'il nous observait aussi bien que nous le contemplions, dans la même immobilité scrutatrice. Flambée rousse, instant suspendu où nous n'osions même plus parler. Puis il avait sauté dans un fourré, et rien n'avait gardé trace de cette apparition quand nous parvînmes à sa hauteur.
Le soir-même, reprenant la lecture de Vivarium, j'était tombé sur ce fragment que je vous redonne ici intégralement :
"Quelque animal que j'aie comme tout le monde admiré dans un zoo, je n'ai jamais connu cet éclair qui saisit quand, sur n'importe quel chemin de France, on rencontre un chevreuil, un sanglier ou même un lièvre : quelque chose dans le souffle retenu, du genre d'un contact, disons, "architerrestre". J'en conclus que ce n'est pas l'animal seul qui sait me toucher au coeur mais quelque chose de plus grand que lui, quelque chose dont il serait l'ambassadeur ou même la métaphore vivante, quelque chose : le silence boudeur de la nature qui soudain condescendrait à envoyer l'un des siens, acceptant ponctuellement de rouvrir le dialogue avec nous - nous qui l'aurions assez rompu pour nous émouvoir d'une biche dans un sous-bois, nous qui aurions si peu le sentiment de lui appartenir que ses manifestations nous seraient comme les signes d'une grâce quelques instants accordée ou pire encore : une absolution." (p. 33-34)
La grâce de cette rencontre, que décrit si bien Tanguy Viel, ne nous avait pas été accordée une seconde fois (mais bien plutôt la disgrâce de ce cheminement pénible à travers les emmêlements boueux du chantier forestier), mais je saluai comme une coïncidence bienvenue la reviviscence par l'écrivain de cette épiphanie.
Il y a autre chose : entre Tanguy Bartt et Nunki Viel une connexion existe en la personne d'un troisième larron, un autre écrivain, Laurent Mauvignier. Qui publie son premier livre à l'âge de 32 ans : "C'était une époque où je traînais dans Tours avec Tanguy Viel qui venait de sortir son premier livre aux Éditions de Minuit. C'est une amie bretonne qui nous a présentés l'un à l'autre." Né à Tours en 1967, il y a fait l'école des Beaux-Arts dont il sortit diplômé en 1991. Or, Nunki Bartt est né lui aussi à Tours, en 1968, et a suivi lui aussi l'école des Beaux-Arts (entre 1986 et 1989).
Apparition de Nunki Bartt en mai 2021 |
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