vendredi 13 août 2021

Un inguérissable besoin de comprendre

"Mon fils, conclut-il, je vois qu'il y a en vous un inguérissable besoin de comprendre qui ne vous permet pas de rester plus longtemps dans cette maison. Nous prierons Dieu qu'Il veuille vous appeler à Lui par d'autres voies."

René Daumal, Le Mont Analogue, L'imaginaire/Gallimard, p. 33

Échos en cascade. Le 11 août, j'ai consigné plusieurs résonances aux motifs sur lesquels je travaillais (je devrais trouver un autre verbe que travailler, qui ne me semble pas correspondre pas tout à fait à l'activité que je mène), et donc après Céline et son Moby Dick de papier, j'avais écrit ceci : "Un peu plus tard, dans la nuit déjà bien avancée, j'ai lu quelques pages du Chasseur Céleste, le dernier livre de Roberto Calasso, le grand écrivain italien disparu tout récemment le 28 juillet, et que j'avais évoqué deux ans plus tôt dans une chronique consacré à René Daumal, figure importante de son essai L'innommable actuel."

Or, ce même 11 août, je tombe sur le troisième épisode d'une série d'été consacrée à René Daumal. C'est dans Le Monde, sous la plume d'Aureliano Tonet. L'article étant réservé aux abonnés, je ne peux me contenter d'y renvoyer. Intitulé René Daumal, rockeur avant l'heure, le texte de présentation qui suit nous dit : « Sur la piste du Mont Analogue » (3/6). De Patti Smith à Bertrand Belin, le roman inachevé du Rémois influence de nombreux musiciens. Une filiation qui doit autant à la contre-culture psychédélique qu’aux disciples du guide spirituel Georges Gurdjieff.

On retrouve donc logiquement Gurdjieff un peu plus loin dans le corps de l'article :

"Si Le Mont Analogue brille d’un éclat particulier pour nombre de musiciens, ce foyer hippie n’y est pas étranger. De même qu’un autre réseau, aussi souterrain qu’international : celui des disciples du guide spirituel arménien Georges Gurdjieff (1866-1949), dont Daumal suivit les enseignements. « En 1971, j’avais 17 ans, j’explorais tout ce qui se rapportait au surréalisme et à Gurdjieff : Le Mont Analogue se situait pile à l’intersection de ces deux passions », témoigne le saxophoniste new-yorkais John Zorn, auteur d’une belle dérive autour du roman, en 2012.

Figures des musiques expérimentales, les Italiens Stefano Battaglia et Francesco Messina ou le Français Pierre Schaeffer ont pareillement découvert Daumal par les cercles gurdjieviens : « A l’initiative de l’éditeur Roberto Calasso, j’ai rejoint l’association Gurdjieff, à Milan, avec mon ami musicien Franco Battiato », se souvient Francesco Messina, âgé de 70 ans. L’expérience lui inspire en 1979 « une suite d’accords hypnotiques », rassemblés dans un album magnifique, Prati Bagnati del Monte Analogo." [C'est moi qui souligne]


Ceci a forcé ma curiosité. Je ne savais pas Calasso (mais je suis loin d'avoir tout lu de cet auteur) féru de Gurdjieff. J'ai consulté l'index des noms propres à la fin de L'innommable actuel, mais Gurdjieff n'est pas cité. Guénon, oui, mais pas Gurdjieff. La référence reste donc occulte, secrète. En ce qui me concerne, une seule occurrence de Gurdjieff dans Alluvions, au 13 janvier 2020, avec cet article intitulé Rencontre avec des hommes remarquables. Titre d'un ouvrage du maître, évoqué dans un des romans de Patrick Modiano (Souvenirs dormants, 2017), et aussi d'un film de Peter Brook, qui en est l'adaptation (et il se trouve incidemment que j'ai écouté ce soir Peter Brook, au retour d'un court séjour à Nantes, interviewé par Arnaud Laporte - en fait une rediffusion d'une émission du 8 février 2021). 

Par ailleurs, René Daumal était cité par Modiano (qui ne semble guère apprécier le gourou (peut-être) arménien) :

« Pour les deux, j’ai pensé à Gurdjieff. Autour de ses livres, de sa pensée, remis au goût du jour par le New Age, gravitaient dans les années 1960 des gens vraiment bizarres qui prétendaient détenir la vérité.
C’est l’époque où j’étais en pension en Haute-Savoie. On m’avait raconté que, dans la montagne et les sanatoriums de Praz-sur-Arly, s’étaient retrouvés autrefois des écrivains vulnérables comme Jacques Daumal [il s'agit en réalité de René Daumal] et Luc Dietrich, qui étaient très influencés par la spiritualité et l’ésotérisme selon Gurdjieff. J’étais frappé par le fait que ses disciples étaient souvent recrutés chez des intellectuels qui se trouvaient dans un état physique désespéré.
Après la guerre, de gens comme Louis Pauwels et Jean-François Revel se sont encore réclamés de cet homme, dont il ne faut pas oublier qu’il est tout de même responsable de la mort, en 1923, de Katherine Mansfield. »
(extrait d’un entretien au "Nouvel Observateur", 2 octobre 2003).

En ce qui concerne Pierre Schaeffer, on peut écouter cette émission des Chemins de la connaissance où le musicien débattait avec Michel Camus de l'avenir de Gurdjieff :


Et puis, si on a encore un peu de temps à rêver devant le poste, en cette période où la canicule menace, il y a cet épisode de Surpris par la nuit, diffusé le 11 avril 2008 : Reconnaissance à René Daumal.



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