"Le commencement de tout ce que je vais raconter, ce fut une écriture inconnue sur une enveloppe. Il y avait dans ces traits de plume qui traçaient mon nom et l'adresse de la Revue des Fossiles, à laquelle je collaborais et d'où l'on m'avait fait suivre la lettre, un mélange tournant de violence et de douceur."
René Daumal, incipit du Mont Analogue
"Ça n'en finit pas de résonner. Le nom de René Daumal semble décidément un attracteur très puissant. De nouveaux signaux en témoignent.
En ressortant mon volume du Mont Analogue, acheté le 17 juillet 2019, alors que la collection L'imaginaire de Gallimard adoptait une nouvelle charte graphique, je relus l'avant-propos de l'éditeur :
Or, j'avais reçu au début de la semaine une belle carte postale de ma fille Pauline, en vacances avec son ami Romain dans le Massif des Écrins. La carte affichait un lever de soleil sur le Pelvoux.
Ce n'était pas un clin d’œil à Daumal, et d'ailleurs quand j'ai reçu la carte je n'ai pas fait la moindre relation à l'écrivain car il n'était pas encore entré dans l'orbe de mon attention (j'avais certainement lu en 2019 cet avant-propos mais sans en retenir ce détail géographique). Deux phrases avaient en outre des résonances familiales : d'une part, le début de rédaction du Mont Analogue coïncide avec la naissance de ma mère (8 juillet 1939), d'autre part, il est dit qu'il apprend à trente-et-un ans qu'il était perdu. Or, 31 ans est l'âge de Pauline, née le 17 mai 1990.
Ce n'est pas tout. Si l'on retourne maintenant la carte, on voit que Pauline a choisi de disposer son message de façon circulaire, en partant du centre vers la périphérie. Sans le savoir, elle reprenait en somme la figuration de la couverture du livre dans l'Imaginaire. Figuration qui trouvait elle-même sa justification dans un dessin de René Daumal en contrepoint d'un passage où il décrit l'anneau de courbure, "plus ou moins large, impénétrable, qui, à une certaine distance, entoure le pays d'un rempart invisible, intangible ; grâce auquel, en somme, tout se passe comme si le Mont Analogue n'existait pas."(p. 64)
Et l'on retrouve encore cet anneau sur la couverture du livre à paraître à l'automne, préfacée par Patti Smith, grande admiratrice du poète, livre initié par le jeune écrivain Boris Bergmann, qui a convaincu, raconte Aureliano Tonet dans le premier épisode de sa série, "la Fondation Luma de financer une réédition du Mont Analogue, augmentée de textes, photos, dessins… Elle paraîtra le 14 octobre, chez Gallimard. Au sommaire de ce beau livre, du beau monde : la rockeuse Patti Smith ou le cinéaste Alejandro Jodorowsky. La plupart participeront à l’exposition « Monts Analogues », du 17 septembre au 23 décembre, au Fonds régional d’art contemporain de Champagne-Ardenne, à Reims, où Daumal a grandi. Boris Bergmann sera l’un des commissaires."
Enfin, et cela en devient véritablement vertigineux, si Pauline est allé avec son ami dans les Écrins, c'était avant tout pour grimper. Elle n'a pas fait d'alpinisme proprement dit mais de l'escalade, passion commune au couple depuis plusieurs années. Une activité donc complètement cohérente avec le thème daumalien - Tonet montre dans son cinquième épisode l'importance que le roman a pris dans la communauté des grimpeurs : "Avec le temps, l’aura de l’écrivain rémois n’a cessé de croître auprès des amateurs d’altitude. Au Mexique, un club d’alpinisme s’appelle Monte Analogo. Sur les hauteurs du nord de l’Italie, une menuiserie et un centre socioculturel ont emprunté leur nom au néologisme forgé par Daumal, « péradam ». Un peu plus à l’est, à Trieste, l’association Monte Analogo mêle art et montagne : « Pour nous autres alpinistes, c’est un livre mythique, qui passe de sac à dos en sac à dos », raconte le président, Marko Mosetti, 66 ans."
Parmi les nombreux exemples donnés par Tonet, je relève entre autres celui du plasticien Antoine Proux : "Depuis sa première lecture du Mont Analogue, quand il étudiait les Beaux-Arts, à Tours, la dernière phrase du livre l’obsède : elle s’achève non par un point, mais par une virgule. « J’y vois une accroche et une respiration, comme une faille dans la roche où s’agripper, avant de reprendre l’ascension », indique le plasticien de 37 ans. En 2017, dans le cadre de la Nuit blanche, à Paris, il conçoit un immense mur d’escalade, dont chaque prise correspond à une virgule du roman. « On a gravi l’équivalent de trois chapitres, jusqu’à 3 heures du mat’… »
« Le Mont Analogue », une installation-performance d’Antoine Proux, sous
forme de mur d’escalade, lors de la Nuit Blanche Off 2017, au gymnase
Jean Verdier à Paris, en octobre 2017.
Ce n'est pas le seul projet inspiré par Daumal, ainsi Tonet écrit qu'à "Paris, où il s’est installé, le Creusois recycle des bouteilles de vin sur lesquelles il appose toujours le même cachet : « René Daumal ». Avant de les laisser discrètement dans des supermarchés, des musées…"
Enfin, je retrouve le dessin de l'anneau de courbure dans une exposition collective de 2019, au Metaxu de Toulon : L’infâme carré sémiotique de A.J. Greimas* de KIND OF KIN.
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