Sollers ajoute : « C’est même d’autant plus étonnant que ce livre utilise beaucoup le Yijing. Tout le monde connaît le Yijing, mais ici personne n’y fait attention.
Il y a pourtant dans ce livre beaucoup de signes imprimés. Ces traits brisés et ces traits pleins, ce n’est pas de la décoration. [...] »
(Sollers, Déroulement du Dao, L’Infini n° 90, printemps 2005, p. 166)
Sollers se désole : il n'est pas entendu. C'est une antienne d'ailleurs valable pour tous ses livres : il n'y a plus de lecteur, il s'époumone dans le désert. Je ne peux résister en parlant de ce livre, Passion fixe, de vous donner un aperçu de ce qu'en dit Damien Taelman dans sa féroce diatribe Le Dao de Philippe Sollers, profession de moi.
Taelman commence par noter qu'il utilise, "sans piper mot", la traduction française d’Étienne Perrrot faite à partir de la traduction allemande de Richard Wilhelm, mais que cela ne l'empêche pas d'y opérer quelques subtiles retouches :
A droite, la traduction d'E.Perrot (1973, p. 325), à gauche extrait de Passion fixe (p. 114-115) |
[...]
Je dois cependant reconnaître que je ne goûte pas pleinement la charge corrosive de Taelman, et je ne suis pas prêt à renvoyer Sollers au néant comme le voudrait par exemple Juan Asensio : "Nous savions que l'infâme Philippe Sollers était une nullité littéraire absolue."
Mon ambivalence vis-à-vis de Sollers, mes sentiments partagés, je les ai d'une certaine façon résolus en lui attribuant un jour la figure du premier arcane du Tarot : le Bateleur. Oui, Sollers est un bateleur, un Charcutter si l'on veut, un bonimenteur, qui comme tout bon bonimenteur fait son miel de tout ce qui passe à sa portée, plagie sans doute, pique, détourne, amuse la galerie, séduit, subjugue, escamote ; mais sa superficialité est trompeuse : le Bateleur est aussi la première lame, le Principe à l’œuvre, le porteur d'infini. Sa futilité est plus apparente que réelle. Et dans Passion fixe, encore une fois, on peut trouver des passages comme celui-ci, qui sont tout sauf d'une nullité littéraire absolue :
"Je m'installe à une petite table dans ce musée de livres bien entretenu, près d'une porte-fenêtre donnant sur l'herbe. Instinct ou hasard, je prends une édition ancienne des États de la Lune et du Soleil, de Cyrano de Bergerac. Son portrait ouvre le volume, long visage intense, avec, en légende, le quatrain fameux :Le passage souligné, ce sont les lignes que j'ai moi-même soulignées au stylo noir en 2000, à la lecture du livre.
La Terre me fut importune,
Je pris mon essor vers les Cieux,
J'y vis le Soleil et la Lune,
Et maintenant j'y vois les Dieux.
En toute modestie, donc. Normal que ses ennemis, après lui avoir empoisonné la vie, aient fini par lui faire tomber une poutre sur la tête. Je commence à lire : "La lune était dans son plein, le ciel était découvert, et neuf heures étaient sonnées..." Neuf coups dans la nuit, silence. Allez savoir pourquoi, cette aventure me paraît à ce moment présente, répandue dans l'air. J'arrive au passage où Cyrano, en rentrant chez lui, trouve un livre ouvert à une certaine page sur sa table, un livre qu'il n'a pas mis là, qui est donc venu se révéler à lui de lui-même. "Le miracle ou l'accident, écrit-il, la Providence, la Fortune, ou peut-être ce qu'on nommera vision, fiction, chimère ou folie si l'on veut..." J'ai toujours cru, moi aussi, que les livres étaient des instruments magiques, indiquant quand il faut à qui il faut l'attitude à avoir, le chemin à suivre. Ils font semblant d'être inertes, mais ils agissent en sous-main. Le papier renferme des atomes non encore connus, l'encre secrète des particules invisibles." (p. 27-28)
C'est loin d'être original ce que je vais dire là, mais c'est ce que je pense profondément : les choses et les êtres sont toujours plus complexes que l'on croit.
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