mardi 3 octobre 2017

# 236/313 - 8 ½

La pluie tombe verticale à l'aplomb des immeubles dorés par le soleil couchant. A ma fenêtre du deuxième étage, je profite des derniers feux de ce jour mouillé. Comme si je cherchais dans cette vision extérieure l'appui de réalité qui m'aidera à entrer une nouvelle fois dans les images cinématographiques que je butine intensément en cette période. L'arbre dont je ne sais pas le nom, au centre du parvis, tout à la fois flambe et ruisselle.

Je viens de regarder sur Mubi 8 1/2 de Federico Fellini, sorti en 1963. Un de ses plus grands films (à ce qu'on dit), que je n'avais pas encore vu (en fait, j'ai d'énormes lacunes dans ma culture filmique). J'ai moins d'attirance pour son œuvre que pour celles de Tarkovski et de Kurosawa, mais ce passage dans Mubi m'incite à aller y voir de plus près. Et j'avoue que la première heure me laisse dubitatif, je coupe avec une virée à Noz sur le boulevard (qui s'avère peu fertile pour une fois, mais c'est tant mieux car j'ai bien ici assez à me mettre sous la dent), et quand je reprends l'intérêt croît. Il faut dire que je croise aussi les thèmes qui me poursuivent, en une série d'échos saisissants. Ainsi en est-il de l'épisode de la Saraghina, femme plantureuse, sauvage, que le personnage principal, enfant, va regarder, avec d'autres gamins, danser la rumba sur la plage, ce qui lui vaut une sévère réprimande, avec humiliations à la clé, de la part des autorités ecclésiastiques. C'est ni plus ni moins le thème de la Sorcière qui sévit encore en plein XXème siècle.


8½  c'est l'histoire d'un réalisateur, Guido Anselmi, interprété par Marcello Mastroianni, qui traverse une crise : il ne parvient pas à commencer le tournage de son film, subit les pressions de ses producteurs et les critiques d'un scénariste français imbuvable, et vit un déchirement constant entre sa femme Luisa (Anouk Aimée) et sa maîtresse Carla (Sandra Milo), tout en rêvant de la femme lumineuse incarnée par Claudia Cardinale. Le film qu'il projette a bénéficié d'une infrastructure considérable, qu'on soupçonne ruineuse : les quelques éléments dont on dispose laissent penser qu'il s'agit d'un film de science-fiction, post-apocalyptique, ce qui bien sûr renvoie pour nous à La Jetée (créé la même année 1962) et, plus près de nous, à Interstellar.


Sur le film, je n'ai pas trouvé d'analyse plus éclairante que celle de Pacôme Thiellement, sur son site. Le texte est issu d'une conférence qu'il donna le 17 février 2014 au cinéma Kosmos de Fontenay-sous-Bois. On y découvre notamment la passion de Fellini pour Jung, à travers la figure de son psychanalyste, Ernst Bernhard :
"La sarabande des médiums, gourous pseudo-orientaux, psychothérapeutes new age, commencera vraiment dans Juliette des Esprits (1964) mais est déjà le produit d’une crise spirituelle auquel on peut associer le nom de Carl Gustav Jung et celui du psychanalyste de Fellini, le mystérieux Ernst Bernhard, de son vrai nom Hajim Manahem. Rescapé d’un camp de concentration calabrais, adepte du Yi King, passionné d’ésotérisme et de magie, Bernhard avait conçu un cabinet-appartement labyrinthique et hiératique, avec de grands rideaux blancs et deux pièces pour les patients, dont l’une où personne n’entrait jamais, où derrière un épais rideau se trouvait un lit et, juste au dessus, une reproduction du saint Suaire. « Tout semblait agencé pour susciter chez le visiteur le sentiment du mystère » écrit Tullio Kezich. Ernst Bernhard mourra pendant le tournage de Juliette des Esprits, alors que le cinéaste suivait une analyse auprès de celui-ci depuis quatre ans, au rythme de trois séances par semaine, ces dernières parfois transformées en rencontres plus informelles dans une pizzéria voisine. Mais Fellini continuera de lire Jung, et ira jusqu’à faire un pèlerinage dans la tour de ce dernier, à Bollingen, dans le canton de Saint-Meinrad, près du lac de Zurich. Le petit-fils du psychologue suisse permettra au cinéaste italien de se recueillir dans une pièce de celle-ci, la « pièce de retraite », qui contenait des peintures et des petits souvenirs. « La lecture de quelques livres de Jung, dira Fellini, la découverte de sa vision de la vie ont eu, pour moi, le caractère d’une révélation joyeuse, la confirmation enthousiasmante, inattendue, extraordinaire de quelque chose qu’il me semblait avoir imaginé un tout petit peu. Je ne sais pas si la pensée de Jung a influencé mes films à partir de 8½, je sais simplement que la lecture de quelques uns de ses livres a sans le moindre doute encouragé et favorisé le contact avec des zones plus profondes, stimulé et animé mon imagination. J’ai toujours pensé que quelque chose me fait grandement défaut : je n’ai pas d’idées générales sur quoi que ce soit. La capacité m’est tout à fait étrangère d’organiser mes préférences, mes goûts, mes désirs en termes de genre, de catégorie. En lisant Jung, il me semble que je m’affranchis et me libère du sentiment de culpabilité et du complexe d’infériorité auxquels me portent constamment les limites que je viens d’évoquer »

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