Merci à elle : voici bien l'écho le plus formidable qui se pouvait donner après l'article d'hier. Le jeune homme en arrière-plan n'est autre que Julien Viaud, alias Pierre Loti, qui va découvrir à seize ans "le grand secret de la vie et de l'amour" avec une jeune gitane mystérieuse, si l'on en croit ses confidences dans Prime jeunesse (1919).
J'en extrais ici quelques détails suggestifs, et en tout premier lieu ce gros plan sur le regard de la Gitane qui m'évoque bien sûr les regards de Vertigo et de Blade Runner.
Cette apparition provoque un rêve dans la nuit qui suit :
"Sur la fin de cette même nuit, un rêve enchanta mon sommeil. Je me croyais au milieu de bois inextricables, dans l’obscurité, me frayant à grand peine un passage parmi des broussailles et des roseaux, et j’avais conscience que des êtres imprécis suivaient la même direction que moi à travers le fouillis des branches.
Ces compagnons de ma difficile route peu à peu s’indiquèrent comme des bohémiens en fuite et bientôt je la devinai elle-même, la belle Gitane, se débattant à mes côtés contre les lianes qui de plus en plus enlaçaient nos pieds. Quand enfin nous fûmes tombés ensemble dans les joncs enchevêtrés, je la pris dans mes bras et, à son contact intime, je me sentis faiblir tout à fait par une sorte de petite mort délicieuse…"
"Et enfin, par une après-midi surchauffée d’août, avec une brusquerie stupéfiante, le dénouement inévitable survint, parmi des fouillis de branches et de roseaux pareils à ceux de mon rêve, dans le ravin ombreux des grottes, au milieu d’un essaim de très fines libellules qui semblaient aussi impondérables que des petites plumes et qui, pour la fête de notre hyménée sans doute, s’étaient somptueusement vêtues de pierreries et de gaze d’or, les unes en bleu, les autres en vert." [C'est moi qui souligne]
On les retrouve dans le dessin de Sophie Balland où se mêlent parfois les propres dessins de Pierre Loti, comme ceux au crayon des sous-bois de la planche 5.
Et celui en couleur, glauque dans le meilleur sens du terme, qui n'est pas péjoratif à l'origine, des marais du Bouil bleu :
Il est curieux qu'il parle d'une rivière sans nom, alors que le nom est bien connu, le Bruant, dont il rebaptisera Saint-Porchaire qu'il n'aimait pas. Mais c'est que le ravin y gagne encore en profondeur d'inconnu : vallée très en contrebas, enclose de rochers, plus enfouie sous l'amas des herbes folles : ce sont autant d'images de la recluse qui s'imposent ici.
La superbe photo de Loti devant la grotte date de l'été 1922 ou du printemps 1923. Si cette dernière date est la bonne, elle ne précède donc que de peu la mort de l'auteur (juin 1923). Après avoir couru le monde, en avoir goûté toutes les splendeurs, après avoir épuisé tous les vertiges de l'exotisme, il s'interroge encore sur les simples images de l'enfance, atteint d'une inguérissable nostalgie.
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