jeudi 12 octobre 2017

# 244/313 - Discorsi della vita sobria

Samedi 7 octobre, comme l'an passé, nous sommes allés à Blois pour les Rendez-vous de l'Histoire. Ni conférences, ni tables rondes, après une flânerie dans la ville, un petit restau, et un passage au salon du livre, histoire d'engranger pour l'hiver de solides lectures. Sur la route de l'aller, nous avons écouté la fin de l'émission "La Concordance des temps", animée par Jean-Noël Jeanneney, qui était diffusée en direct de Blois. Le thème en était l'homme contre les machines, avec François Jarrige, maître de conférences à l’université de Bourgogne. Bien intéressant, puis j'ai basculé sur Inter pour écouter Jean-Claude Ameisen, pour "Sur les épaules de Darwin". Je prends rarement le temps de suivre cette superbe émission, et c'était donc l'occasion rêvée, car c'est en voiture que je préfère écouter la radio. C'est là que ma concentration est la meilleure, curieusement, car l'on pourrait penser que le fait de conduire nous distrait de l'écoute. Il n'en est rien, quand l'on conduit comme moi à un train de sénateur, on peut parfaitement concilier la vigilance nécessaire avec l'attention requise pour la parole du poste. Au lieu qu'à la maison, je trouve assez fastidieux de simplement écouter sans rien faire d'autre.



Bref, allons aux faits,  Ameisen commença ce jour-là par évoquer la figure d'Alvise Luigi Cornaro, gentilhomme et mécène italien qui vécut de 1467 à  1566*. Il rédigea plusieurs discours où il s'efforça de montrer les bienfaits d'une vie sobre, et en particulier, d'une auto-restriction alimentaire. Intuition fondée sur sa propre expérience, qui se trouve confirmée par de multiples études récentes.
« J’avais soin de ne jamais satisfaire mon estomac jusqu’à la satiété, et je sortais de table encore capable de manger et de boire. […] La nourriture que l’on s’abstient de prendre quand on a bien mangé profite plus que celle qu’on a déjà prise […] La sobriété dans la nourriture et la boisson rend les sens et la compréhension claire, la mémoire robuste, le corps vivant, les mouvements aisés, et l’âme, ressentant si peu le fardeau terrestre, fait l’expérience d’une grande part de sa liberté naturelle. […] Parvenu à ma 95ème année, Dieu soit loué, je me trouve toujours en bonne santé et heureux, satisfait et empli de joie. Et je ne cesserai jamais d’élever la voix, vous suppliant, mes amis, de réaliser que votre vie peut être pareille à la mienne. »
Luigi Cornaro. Discours sur la vie sobre, 1558.
Je n'avais jamais jusqu'alors entendu parler de ce Luigi Cornaro. Jamais rien lu sur lui.

Portrait d'Alvise Luigi Cornaro, (1562-1565) par Le Tintoret

L'après-midi, sur un stand, je vois La civilisation de la Renaissance en Italie, de Jacob Burckhardt, un grand classique de l'histoire de l'Art, que je ne connais que par L'image survivante, le livre de Georges Didi-Huberman sur Aby Warburg. Je l'ouvre au hasard et voici que je tombe très précisément sur une page (le volume en compte plus de cinq cents) qui évoque Luigi Cornaro. Incroyable. D'ailleurs, en refaisant le geste plusieurs fois, je ne retrouverai pas la page, et l'ouvrage ne disposant pas d'un index, il me faudra de longues minutes avant de retrouver ici chez moi (car bien sûr, je ne pouvais plus faire autrement qu'acheter le livre ainsi désigné par le hasard) cette page 284 où Burckhardt rappelle les prescriptions et l'art de vivre de ce Pierre Rabhi de l'époque.

Cette coïncidence ne prolongeait pourtant aucune des branches du réseau serré de correspondances que je démêle ici depuis l'irruption de la sorcellerie et de Ravenne dans le défilé de mes jours. Ce n'était pas la seule : entre le 27 septembre et aujourd'hui, dimanche 8 octobre, où j'écris ces lignes, c'est plus d'une quinzaine de petites collisions de particules indépendantes que j'ai pu répertorier. Comme un essaim d'étoiles filantes dans un ciel d'été, sauf que nous avons franchi le pas de l'équinoxe, que l'automne est bien là, et que cette nouvelle énigme, en me proposant une nouvelle configuration du hasard, me suggère que le temps à venir est peut-être encore riche de surprises.

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* Wikipedia donne d'autres dates : 1464 -1566, ce qui ferait de Cornaro un centenaire - ce qui est exceptionnel en ce temps-là. Je préfère me fier à Ameisen mais, de toute façon, la différence n'est pas grande, et ne change en rien la démonstration.

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