Corinne Marchand dans Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda |
J'ai repris le recueil, en ai relu certains passages, le reparcourant néanmoins entièrement à la recherche de ce prénom, Cléo. Et puis tout à coup, page 55, dans le poème intitulé Roman, III, j'ai lu ceci :
A la fin d'août, l'homme dont nous parlons se rendit à La Bourboule chercher sa femme, pour rentrer avec elle à Paris. Il changea trois fois de train, sur de petites lignes. Il l'attendit à la sortie de l'établissement de bains et ils marchèrent en remontant la Dordogne, jusqu'en dehors de la ville, où ils s'embrassèrent. Il était onze heures du matin, et trop tôt pour aller dans la chambre, à l'hôtel. Son dos s'était doré, elle respirait mieux.
Nous sommes nous aussi descendus à l'hôtel, où nous devions prendre normalement petits déjeuner et dîners, mais cela ne s'avéra pas possible. La cause ne nous fut pas dévoilée d'emblée, c'est le silence inhabituel de la salle de restaurant à l'heure où les préparatifs culinaires auraient dû être manifestes qui nous mit la puce à l'oreille. On nous avoua alors que la restauration avait été fermée après un contrôle administratif récent. Aucun mail, aucun sms, ne nous avait prévenus. Bon, si ça se trouve nous avions échappé à une intoxication alimentaire... Une télé qui ne marchait pas, une eau chaude un peu capricieuse, le wi-fi inexistant, bon, nous en prîmes notre parti, nous n'étions pas là pour longtemps et on nous assura qu'un effort financier serait fait sur le prix des chambres (et je dois reconnaître que ce ne fut pas une promesse en l'air). Je doute que ce soit dans cet hôtel (dont je tairais le nom) qu'Alix Cléo fut hébergée, mais peut-être fut-ce au Cléotel que je photographiais un peu plus tard lors de notre promenade dans la petite ville ?
Cléo, le prénom Cléo, n'apparaît que très peu dans Quelque chose noir. La première fois c'est dans la quatrième section de poèmes, à la fin du premier, Je vais me détourner :
Parole autour d'un corps vivantSi je ne me trompe, on ne revoit ce double prénom qu'une seule fois, dans la même section, avec le poème Pexa et hirsuta, que je cite en entier :
Alix Cleo Roubaud**
Dante appelle hirsutes ces cailloux pris dans les vocables et qui arrêtent le cours du vers au long de son écoulementJe trouve étonnant de retrouver à cet endroit du poème - si important avec cette mention si rare du prénom de la femme infiniment pleurée -, le thème même de la nudité dont on a vu qu'il constituait le motif central de Cléo de 5 à 7. C'est qu'il est tout aussi central dans l'oeuvre d'Alix Cleo Roubaud : Brigitte Ollier écrit que, "reproduites en partie dans son Journal, ses photographies, en noir et blanc, enregistrent ses lents mouvements. Elle s’y met en scène en solo, nue sur le plancher de sa chambre, comme un chat paresseux, ou avec Jacques dans le lit de cuivre, feuilletant les carnets du grand-père."
Comme "les consonnes multiples, les silences, les exclamations"
Peignés, dit-il, c'est le contraire
Ta chevelure basse qui n'interrompait pas ton ventre,
"peignée"
Hirsute la fragmentation de tes prénoms,
Je les disais toujours ensemble, l'un heurtant l'autre : Alix Cleo.
Où le signe voyelle manquant était celui de : 'nue'.
Ce qu'il y avait d'hirsute dans ta nudité n'était pas ta chevelure basse très noire autour de l'humide où la langue passait en t'écoulant
Pas ta nudité mais ton nom. Au milieu de jouir de toi le dire.
Alix Cleo Roubaud, série si quelque chose noir, 8/17, 1980-81 |
Trajectoires frayées dans le noir, de la lumière chaque lumière continue, frayant, vers moi, dans le noirVers que l'on peut mettre en résonance avec cette photo prise dans un hôtel de Cambridge en 1980 :
Au fond des jambes ouvertes, cette tache sombre
Cela ne changea pas.
Alix Cleo Roubaud, Le 31 mai 1980, University Arms Hotel, Cambridge, chambre 217. |
A La Bourboule, j'eus deux nuits d'insomnie. Aucun souci particulier ne me taraudait ; bien au contraire, ce bref séjour fut plutôt heureux, mais il me fut impossible, pour une raison que je ne m'explique toujours pas (même si j'ai toujours de la difficulté à m'endormir paisiblement, casanier que je suis, dans un endroit étranger à mes pénates habituelles) de trouver le sommeil, en cette chambre au dernier étage de l'hôtel, avant le petit matin. En même temps, je ressentais le poids d'une fatigue ne me permettant guère de lire ou d'écrire. Et pourtant j'avais de la matière, ayant emporté dans mes bagages Le Royaume d'Emmanuel Carrère, avec ses six cents pages bien charnues.
Un autre hôtel de La Bourboule, station thermale qui a connu des jours meilleurs. |
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* Le film sera également disponible gratuitement pendant sept jours sur arte.tv.
** Roubaud ne met pas d'accent sur le e de Cleo (elle était canadienne). Absence d'accent que peu respectent (voir la page Wikipedia).
3 commentaires:
La phorie des glandeurs n'étant pas mon film favori, j'avais loupé la première présentation de la gravure Die Nacht de Heinrich Aldegrever, et surtout son décryptage par Dimitri Karadimas.
Je suis assez réticent devant les analyses géométriques des oeuvres des autres, sauf bien sûr quand c'est source de coïncidence, et je constate ici que, sans préjuger que ce fût intentionnel, le segment vertical passant par l'intimité de la dame correspond exactement à la section d'or gauche de la largeur. Le segment horizontal souligne cet endroit précis (que rigoureusement ma mère...).
Or j'ai donné dans le chapitre 17 de Novel Roman L'Esprit du Printemps de Mucha, pour ses sections d'or désignant également cet endroit précis (mais avec la section d'or droite).
Le vers d'Ovide Nox et amor vinumque nihil mo/derabile suadent en 39 lettres est curieusement donné coupé au milieu d'un mot, et cette césure correspond au partage d'or en 24 et 15 lettres.
Par ailleurs, le jeu entre la lune et la boule du fauteuil peut faire écho à un jeu entre lune et réverbère d'une photo donnée dans mon article d'hier, où la luciole "11 septembre" devient une supernova...
Correction sur le dernier point: reprenant la photo, il s'agit indibutablement de deux réverbères.
Merci Rémi pour ces échos et prolongements.
Bientôt quelques digression sur un certain Jean Lahougue, dont j'ai sauvé un livre du désherbage de la médiathèque. Je ne l'eusse point fait sans doute, si je n'avais pas vu ce nom dans l'un de tes articles.
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