samedi 26 juin 2021

Le bel été du lanceur d'alerte

Ibsen me poursuit. C'est le 21 juin, premier jour de l'été, que par deux fois je tombai sur l'aphorisme clé de sa pièce de 1882, L'ennemi du peuple : "L'homme le plus fort du monde, c'est l'homme le plus seul."J'en rendis compte deux jours plus tard dans un article où je notais aussi cette autre résonance entre le volcan islandais de Sans soleil, le film de Chris Marker et le volcan de la série islandaise toute fraîche sortie de l'usine Netflix, Katla.

Le 24 juin, je parcours tard dans la nuit l'édition du 21 juin du magazine New Yorker (je dis bien "je parcours", car abonné un peu malgré moi, je manque de temps et d'énergie pour véritablement lire, au plein sens du verbe, les textes qu'il renferme). Et puis voilà ce que je découvre, page 8 :

Ann Dowd, célèbre pour ses rôles dans deux séries cultes (Patti Levin dans Leftovers, et Tante Lydia dans The Handmaid's Tale : La Servante écarlate), a accepté sans même voir le script la proposition d'adaptation assez radicale de Robert Icke : elle y interprète tous les rôles, en une intrigue se déroulant non en Norvège mais dans l'Amérique contemporaine.

Autre résonance singulière, mais il me faut un peu de temps pour en dessiner les contours. Jeudi après-midi j'ai arpenté les salles du musée Saint-Roch d'Issoudun, en compagnie de mon ami baxtérien Nunki Bartt. A la découverte d'Antoni Clavé (1913 - 2005), dont 38 œuvres étaient présentées, essentiellement des grands formats, datant de 1960 à 2002. On peut lire que "si le thème rend hommage à l’amitié entre l’artiste et l’historien et écrivain Pierre Daix, le parcours de l’exposition mettra en lumière le goût d’Antoni Clavé pour la matière, ses altérations, ses érosions, en présentant des œuvres sur panneau et sur toile, mais aussi des tapisseries-assemblages, des boîtes objets, et des sculptures originales en bois explorant ainsi les différents matériaux (papier journal, corde, tissus, bois, carton, pastel, huiles, acryliques…) que l’artiste se plait à enchevêtrer, juxtaposer, parfois à soustraire."

Poisson - Antoni Clavé - 1960

Aude Hendgen, responsable des Archives Antoni Clavé, et commissaire de l’exposition, écrit de son côté : 

"Ce n’est pas un hasard si Pierre Daix choisit de débuter son analyse à partir de 1960, moment où Clavé peut affirmer la dimension matérielle de son art. Poisson et La Nappe illustrent parfaitement cette réflexion. Respectivement sur panneau (laissé presque nu) et sur toile, elles associent la peinture à l’huile à des collages de morceaux de réel, arrachés à leurs univers habituels. Des petits morceaux d’illustrations d’un journal déchirés et une feuille blanche froissée et trouée pour Le poisson, une pièce de tissu d’ameublement effilochée pour La Nappe, sont insérés sans toutefois perdre leurs propriétés originelles ni leur mémoires, au sein de nouvelles structures : deux œuvres peintes que nul ne saurait sortir de cette catégorie. Elles ouvrent la voie à la revendication assumée de la matérialité par Antoni Clavé qui n’utilise plus le collage pour ses qualités plastiques. Pour lui, la dimension matérielle, parfois matiériste, devient une fin en soi, et l'assemblage un aboutissement."

Antoni Clavé, La Nappe, Huile et collage sur toile,1960 - (73x92 cm)

La force de cette œuvre, dont les reproductions ici ne donnent qu'une très faible idée, mérite une visite lente et patiente (il faudrait des heures pour s'immerger dans certains assemblages, qui demandent des approches et des visées très différentes : on ne cesse de se reculer pour prendre la juste dimension de l’œuvre dans son entièreté, et de se coller le nez à la toile pour y observer les détails de texture et de matière). La distinction abstrait/figuratif, le plus souvent, n'a plus de pertinence. Et la profusion des motifs n'empêche pas que l'ensemble tienne, manifeste solidité et équilibre.

En rentrant à Déols, nous parlons de la prochaine exposition de Nunki au Moulin de la filature de la ville du Blanc, sur les rives de la Creuse, superbe endroit.


Parmi les toiles exposées, il me parle plus spécialement à ce moment-là du Bel été du lanceur d'alerte, une toile plus ancienne, de 2017, mais qu'il a tenu à faire figurer parmi les nouvelles.

Le bel été du lanceur d'alerte, Nunki Bartt, acrylique et poscas, 100 x 100.

Autour de cette œuvre, le peintre a écrit un texte baignant dans cet humour particulier qu'on lui connaît, parfois noir et grinçant, en 2017, à l'occasion d'une exposition à la galerie 75, à Rouen. Extrait  :

"Nunki Bartt a peint à première vue une scène bucolique. Mais à y regarder de plus près, pas seulement.

Le personnage qui se tient au bas du tableau a cru bon, animé de toute la fougue de sa jeunesse, de donner un bon coup de pied dans la fourmilière, afin d'attirer l'attention sur un scandale qui aurait fait long feu sans sa courageuse intervention.

Malheureusement, il s'avéra que notre lanceur était un fort médiocre entomologiste. La fourmilière était en réalité une termitière, une immense termitière à plusieurs étages. En deux mois, il s'était mis à dos toute l'industrie du BTP, la profession de la boucherie et charcuterie, le marché du barbecue de luxe, ainsi que club local de danseurs de tango."

C'est avec le même Nunki Bartt que j'avais vu Nicolas Bouchaud, ici même à Châteauroux, dans son monologue Le méridien, le 16 janvier 2018 ; Bouchaud qui interprète donc le docteur Stockmann de la pièce d'Ibsen, dont je disais qu'il était en somme" ce qu'on nomme aujourd'hui un lanceur d'alerte". 

Il n'est pas jusqu'à la piscine au bas droit du tableau qui ne rappelle les établissements de bain des deux frères Stockmann.

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