"Cette table du Bonaparte à laquelle était allé s'asseoir Ribeyro est devenue au fil du temps un espace de joie pour DGF et moi, un lieu de bavardages animés, d'échanges d'idées et de citations littéraires extravagantes dites toujours par deux artisans patients qui, comme lui, préféreraient toujours la marge, le café bonapartien anonyme au célèbre Deux-Magots d'à côté.
Souvent, pour me donner de l'allant, j'évoque chez moi ou en voyage des fragments de mes rencontres au Bonaparte, je célèbre leur charme et je les vois comme des scènes de résistance à la vitesse de notre époque, interprétées par deux artisans, elle et moi, qui y tournent le dos aux événements trépidants, à toute la grossière criaillerie générale qui nous incite à croire que le temps s'accélère et se multiplie en tous sens.
Je crois que nous marchons tous deux de l'autre côté de cette machine frénétique. Nous sommes des personnes qui, vues de l'extérieur, peuvent paraître enclines à adopter d'étranges façons de vivre qui, peut-être, sait-on jamais, sont déjà les nôtres. Ce qui est sûr et certain, c'est que nous faisons partie de ce genre de personnes qui passent tant de temps à enquêter sur le monde qu'elles finissent par le faire l'un sur l'autre.
Nous avons quelque chose d'artistes patients et tenaces. La lenteur, les tâtonnements, les doutes, l'insistance, la persévérance ou le bon accueil que nous réservons à l'art de la conversation constituent certains de nos signes distinctifs.
L'étrangeté occupe une place centrale dans cette scénographie de ma mémoire, peut-être parce qu'il n'y manque jamais l'image de nous deux assis à la table de Ribeyro, à côté du petit buste de Napoléon dont la présence suffit à justifier le nom de l'établissement, détail kitsch qui rend tout encore plus amusant et, au fond, encore plus étrange.
Je crois qu'on pourrait nous appliquer la phrase dite un jour par Marguerite Duras à ses voisins d'immeuble, les frères Priest :"S'il y a une chose dont je suis sûre, c'est que vous avez beaucoup conversé dans votre vie. Ce qui peut être aussi un art."
Nous aimons l'art se confondant avec la vie, l'art le plus difficile. Nos conversations au Bonaparte nous semblent des exercices passionnants, peut-être parce qu'elles nous obligent à devenir des artistes." (p. 63-64 ; c'est moi qui souligne)
mardi 10 janvier 2017
# 8/313 - L'art de la conversation
Aujourd'hui, je voudrais juste prolonger ce qui vient d'être évoqué autour du café Bonaparte. Ce qu'explique ensuite Enrique Vila-Matas constitue un vrai cahier des charges (même si le mot "charges" ici m'ennuie un peu) en ce qui concerne l'échange que je veux mener avec ceux que j'appelle les Alliés. Cet art de la conversation, cette patience et cette écoute qui permettent de dépasser les malentendus et même d'en faire un usage heureux (EVM développe cette idée dans un autre passage du livre), tout cela j'ai envie de le partager avec tous ceux qui daigneront m'accompagner sur ce projet. Longue citation donc, à méditer sans retenue :
"Soleil vert" par Dominique Gonzalez-Foerster - Blow up - ARTE © Blow Up, l'actualité du cinéma (ou presque) - ARTE
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