vendredi 20 janvier 2017

# 17/313 - Histoires de tigres

“So many Richard Parkers had to mean something.”
Yann Martel

En explorant sur la toile les diverses occurrences de Richard Parker, ce pauvre marin sacrifié à l'appétit cannibale de ses compagnons de naufrage, une autre figure s'est glissée dans le paysage, et a pris forme animale. Oui, Richard Parker est aussi un tigre du Bengale. Dans le roman de Yann Martel, L'Histoire de Pi (Life of Pi), publié au Canada en 2001.


Je n'ai pas lu le livre, ni vu l'adaptation cinématographique d'Ang Lee (mais je compte bien le faire, j'ai déjà récupéré le livre à la médiathèque, le film était sorti). Mais Wikipedia et consorts me fournissent déjà une matière épaisse propice à la réflexion.

"Le drame débute lorsque le père de Piscine Molitor Patel surnommé Pi Patel, décide de s'établir au Canada avec sa famille et quelques animaux qui faisaient partie de son zoo à Pondichéry. Pour le malheur de Pi, le navire coule et il est le seul rescapé humain qui a trouvé refuge dans un canot de sauvetage. Les autres rescapés sont un orang-outan, une hyène, un zèbre et un tigre royal du Bengale. S'ensuivra une lutte pour la survie dans sa forme la plus primitive, car Pi doit non seulement subir la faim, la soif et les éléments, mais doit aussi assurer sa survie face à un prédateur féroce. [...] Richard Parker est un tigre du Bengale de 200 kg qui se retrouve avec Pi sur le canot de sauvetage après le naufrage. Le fauve survit grâce à la nourriture et l'eau qu'il lui procure. Ils deviennent tous deux proches, et se soutiennent dans la lutte de la survie. Pi décidera, une fois sa peur passée, de le dresser, faisant en sorte de ne pas lui servir de repas."(Wikipedia)
Bien sûr, le nom de Richard Parker est clairement emprunté aux Aventures d'Arthur Gordon Pym, mais il faut savoir aussi qu'un animal a une grande importance dans le récit de Poe : le chien fidèle de Pym lui-même, et qui a nom Tigre. Comme par hasard. Quand il s'embarque sur le Grampus, à l'insu de l'équipage, il n'est pas du tout question de ce chien. Ce n'est que lorsqu'il se retrouve piégé dans la cale, assailli par des rêves vénéneux, qu'il reçoit la visite de ce qui lui apparaît tout d'abord comme un monstre : "Les pattes de quelque énorme et véritable monstre s’appuyaient lourdement sur ma poitrine, — sa chaude haleine soufflait dans mon oreille, — et ses crocs blancs et sinistres brillaient sur moi à travers l’obscurité." Il se résigne à la mort, éperdu de terreur, quand soudain la bête lui lèche les mains et le visage avec ardeur : "J’étais comme étourdi, perdu d’étonnement, — mais je ne pouvais pas avoir oublié le geignement particulier de Tigre, mon terre-neuve, et je connaissais bien la manière bizarre de ses caresses. C’était lui. Je sentis comme un torrent de sang se ruer vers mes tempes, — comme une sensation vertigineuse, écrasante, de délivrance et de ressuscitation. Je me dressai précipitamment sur le matelas de mon agonie, et, me jetant au cou de mon fidèle compagnon et ami, je soulageai la longue oppression de mon cœur par un flot de larmes des plus passionnées." [C'est moi qui souligne]

C'était son ami Auguste qui avait embarqué Tigre sans lui dire.

Aileen Riggins et Johnny Weissmuller -1929-
Je reviendrai sans doute sur ce livre quand je l'aurai découvert moi-même. Je veux juste m'attarder un instant sur le curieux prénom du héros de l'histoire, Piscine Molitor Patel. Une explication est donnée dans le roman : c'est un ami de la famille, Mamaji, champion de natation, qui avait étudié deux ans à Paris et rêvait encore de la piscine Molitor, la seule, écrit Yann Martel, qui le laissait parfois sans parole.
Je veux bien, mais pourquoi l'auteur invente-t-il cette histoire ? Quelle nécessité le guide dans ce choix ? Deux choses m'intriguent : d'une part, la piscine Molitor était parfois surnommée "le paquebot blanc", en raison de son esthétique Art déco, souvent à l'honneur sur les transatlantiques de l'époque ; d'autre part, la piscine fut inaugurée avec faste par deux nageurs célèbres, les Américains Aileen Riggins et Johnny Weissmuller :
"À vingt-cinq ans, et trois ans avant d'incarner le premier Tarzan du cinéma, ce dernier est en effet mondialement connu pour ses cinq titres olympiques en natation. Maître-nageur à ses heures, il officie à la piscine Molitor pendant l'été 1929." (Wikipédia)
Tarzan, le seigneur de la jungle. Cela rime assez bien avec l'Histoire de Pi, ces animaux du zoo de Pondichéry qui suivent leur maître au Canada. Pondichéry qui se joignit à la jeune république indienne (elle n'avait que sept ans) le 1er novembre 1954.
La même année, un Johnny Weissmuller vieillissant, alourdi, qu'on avait remplacé pour Tarzan par Buster Crabbe, jouait encore dans Cannibal Attack, de Lee Scholem ; deux ans plus tôt, il avait interprété un succédané de Tarzan, Jungle Jim, dans le film Voodoo Tiger, Le Tigre sacré en français.



Il y eut même en 1929 une série réalisée par Henry MacRae surnommée Tarzan the Tiger.




Elle était basée sur le roman d'Edgar Rice Burroughs, Tarzan and the jewels of Opar. Un auteur qui ne détestait pas se faire photographier à côté d'une tête de tigre.




 

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