Ce matin, je me replongeai dans un recueil de chroniques que mon ami Francis "Javert" Dusserrre m'avait gentiment apporté vendredi soir 20 janvier, lendemain de l'anniversaire de Poe. Il s'agissait de Troquets de Paris, sélection d'articles que Jacques Yonnet donna, à partir de 1961, chaque semaine pendant treize ans à L'Auvergnat de Paris. Jacques Yonnet n'est plus un inconnu pour moi depuis que le même Francis, parisien pur porc de la rue des Rosiers, m'avait prêté Rue des maléfices, chef d’œuvre paru en 1954. J'avais trouvé là un frère dans la quête des résonances, et à travers les légendes du vieux Paris colportées depuis Lutèce et le Moyen Age, un autre ouvrier de l'attracteur étrange : "J'ai découvert, écrivait-il, à travers les moindres conjonctures, faits bizarres et jeux de coïncidences, une logique à ce point rigoureuse qu'un constant souci de véracité m'a forcé à me mettre en scène beaucoup plus peut-être qu'il n'eût fallu."
Je reprends donc l'affaire où je l'avais laissée la veille, au beau milieu d'une chronique du 20 février 1971, intitulée somptueusement Nostalgies bistrotières et boyau de la rigolade, ce qui donne bien le ton car Yonnet s'émeut alors du "reconditionnement" des Halles centrales, affirmant qu'il ne "se passe pas de trimestre que ne soient jetés bas des pâtés d'immeubles encore parfaitement habitables, et qui possèdent leur "personnalité" aux yeux des êtres sensibles. Mais les impératifs du moment sont aux grands ensembles, à l'univers alvéolaire (voyez le complexe Montparnasse), inventé pour faire crever d'ennui, si nous n'y prenons garde, les gens que nous sommes."
Je reprends, oui, exactement à cet endroit, tournant la page 43, illustrée d'un dessin de Yonnet (car le lascar avait en outre un bon coup de crayon), et je lis ceci :
Heureusement, il y a l'humour, l'humour spécifiquement parisien... et bistrotier, propre à nous préserver de bien des maux. Et cela dure depuis le fond des âges : déjà, au temps des premières croisades, des cadets de famille, peu soucieux d'aller en Orient combattre les Infidèles et qui avaient loué de bons mercenaires pour y aller à leur place, avaient fondé dans les innombrables tavernes de l'île de la Cité, une véritable communauté de faussaires. On y fabriquait (tout simplement) des reliques, dont je me souviens avoir publié dans ces colonnes une liste extraordinaire [...]. Le caractère outrageusement faux de ces soi-disant "témoins" de la Passion force d'admettre de la part de leurs fabricateurs un sens de la mystification poussé au suprême degré de joyeulseté grande." [C'est moi qui souligne]Baudelaire affirmait qu'Edgar Poe "fut toujours grand, non seulement dans ses conceptions nobles, mais encore comme farceur." A propos du baron Von Jung, double de Poe dans "Mystification", Georges Walter écrit : "Seigneur du canular, le baron est, en vérité, la figure suprême de l'artiste, ce lucide absolu. A l'instar de ce maître, le poète, homme clandestin et camouflé, ne sera pas la créature d'une inspiration, mais l'ingénieur d'une élaboration."
Jacques Yonnet a donné plus qu'à son tour dans le canular. Il raconte celui des tatouages bidons, mené avec l'écrivain Robert Giraud, où il abusa une équipe de télévision allemande. Ayant recruté dans plusieurs bistrots des "volontaires", il leur dessina lui-même sur la peau, au moyen d'un stylo à bille et d'eau de Cologne, "des motifs allant du classique à l'extravagant, de la chauve-souris au naufrage par grosse mer, de la panthère au dragon chinois, du portrait de Mistinguett à la fatma exécutant une danse du ventre." Selon lui, les opérateurs n'y virent que du bleu, et repartirent ravis mais puissamment intrigués par cette abondance de tatoués dans un si petit périmètre.
Un canular Tason - Le faux mariage en ville d'Aigurande |
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