mercredi 8 février 2017

# 33/313 - Me passeriez-vous le guide des chemins de fer ?


Cette chronique aurait dû être la huitième, puis la onzième. En décembre 2016, alors que je jetais les bases de ce projet Heptalmanach, j'avais programmé un certain nombre de posts correspondant aux nombreuses correspondances qui s'étaient imposées à moi après la lecture d'Otto de Marc-Antoine Mathieu. Ce plan a été largement bouleversé, car les articles ont souvent donné lieu à des prolongements, provoqué d'autres résonances inattendues, et certaines figures, Edgar Poe, Jean-Luc Godard, par exemple, sont devenues des références cruciales qui ont exigé plusieurs épisodes.
C'est donc vingt-deux chroniques plus tard que j'aborde enfin le docteur Watson et Sherlock Holmes. Que j'avais rencontrés à partir d'Enrique Vila-Matas, qui dès l'ouverture de Marienbad électrique, évoquait en ces termes la relation qu'il avait avec Dominique Gonzalez-Foerster :

"Qu'au moment le plus inattendu elle appelle le serveur du Bonaparte pour lui demander le guide des chemins de fer avait dû, je crois, l'atterrer.
Sherlock Holmes le demandait à Watson quand il voulait faire savoir qu'il allait passer à l'action.
- Me passeriez-vous le guide des chemins de fer ?

Qu'avait pu penser Eduardo en entendant ces mots ?
Arrivé à ce point, je ferai bien de me rappeler à moi-même qu'il m'arrive de remarquer que quelqu'un me guide. C'est ainsi, je ne peux ni le dissimuler ni dire que les choses se passent autrement. Quelqu'un tire les ficelles. Au départ, au moment où je m'en rends compte, je résiste comme je peux, mais ensuite je vois qu'elles m'ouvrent des perspectives toujours bonnes et insoupçonnées. Et je les laisse faire, bien sûr. Où me mènent-elles ? Peut-être vers un livre que j'écrirai un jour sur mes relations avec Dominique Gonzalez-Foerster et notre pratique créative et animée de l'art de la conversation, un texte sur divers parallélismes et correspondances dans nos méthodes de travail respectives.
Ce même fragment pourrait, par exemple, ouvrir ce livre." [C'est moi qui souligne]
 Un peu plus loin, on peut trouver une autre référence à Holmes :
Voilà où j’en étais quand, me rendant compte que Dominique et moi nous espionnions avec une dissimulation de plus en plus subtile, je me suis souvenu du conseil de Stamford à Watson : ‘Alors étudiez-le ! Mais vous trouverez le problème épineux ! Je parie qu’il en apprendra plus sur vous que vous n’en apprendrez sur lui’.”
Or, à la même époque où je lisais ces lignes, France 2 rediffusa, le 26 décembre, un épisode de la nouvelle série de la BBC consacrée à Sherlock Holmes. Inaugurée en 2010, Sherlock se présente comme une transposition dans le Londres du XXIe. "Sous la plume de Mark Gatiss et Steven Moffat (Doctor Who), écrit Constance Jamet dans Le Figaro, sous les traits de Benedict Cumberbatch et de Martin Freeman, le limier et le médecin avaient l’air encore plus à l’aise dans la ville de Boris Johnson, au milieu du London’s Eye et du Gherkin, que dans le Londres victorien gothique et menaçant d’Arthur Conan Doyle. Le duo maniait le smartphone, les blogs, endurait les allusions bienveillantes mais déplacées de leur logeuse sur une supposée idylle, mais l’humour, la fulgurance et la mégalomanie de Holmes restaient intactes".



L'effroyable mariée offre la particularité de s'inscrire aussi dans le Londres victorien de 1895, par une série d'allers-retours spatio-temporels de Sherlock entre notre époque et le XIXème siècle. Une intrigue fantastique, assez étourdissante, où l'on retrouve donc les personnages avec l'imagerie traditionnelle, pipe, casquette et loupe pour Holmes (la pipe remplacée par exemple par des patchs de nicotine quand l'action se passe de nos jours).

On peut s'amuser à filer la ressemblance entre les deux couples EVM-DGF et Holmes-Watson en allant voir ce que fut l'exposition Splendide-Hotel au Palais de Cristal de Madrid en 2014.


Splendide Hotel, conversación con Dominique Gonzalez-Foerster from Museo Reina Sofía on Vimeo.

Dans cet entretien, DGF évoque un livre de Richard Matheson, Le Jeune Homme, la Mort et le Temps (titre original : Bid Time Return), où le héros fait un retour mental dans le temps, en 1890, à la recherche d'une actrice de cette époque dont la photographie l'obsède. Elle dit avoir eu l'impression d'avoir fait le même voyage dans le temps.

Je ne connaissais pas cette histoire : Wikipedia m'apprend que Matheson, au cours d'un voyage dans le Nevada, fut lui-même fasciné par le portrait de l’actrice américaine Maude Adams (1872-1953) qu'il vit dans un théâtre ancien, le Piper's Opera House, à Virginia City. « Cette photographie était tellement bien », a-t-il dit, « que je suis tombée amoureux d'elle en imagination. Que se passerait-il si la même chose arrivait à un gars et qu'il pouvait remonter le temps ? ». " Pour écrire le roman, il s'installe pendant plusieurs semaines à l'Hotel del Coronado à San Diego (le lieu où se déroule le roman) ; il enregistre ses impressions sur un dictaphone tout en faisant par lui-même l’expérience du rôle de Richard Collier. Matheson a reporté sur le personnage d'Elise McKenna quantité d'éléments de la biographie de Maude Adams."

Le moyen de voyager dans le temps imaginé par Matheson, qui s'inspire lui-même de celui décrit par l'auteur John Boynton Priestley dans son livre d’essai L'Homme et le Temps5 (Man and Time, 1964),  consiste à pratiquer l'autohypnose afin de persuader son esprit qu'il est dans le passé. Autant que je me souvienne de l'épisode de Sherlock, c'est de la même façon que Holmes se transporte au XIXè, et non grâce à une machine spéciale.


Signalons pour finir cette dernière allusion à 1895 dans le livre de DGF édité à l'occasion de l'exposition. C'est l'année où Freud, de passage à l'hôtel Bellevue, se tourne véritablement vers la science des rêves.



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