jeudi 4 octobre 2018

Briser l'antique maléfice

Au générique du Temps des Forêts apparaissait le nom de Pierre Bergounioux. Ce qui n'était pas très surprenant, l'écrivain d'origine corrézienne possédant une maison à quelques vols de buses du plateau de Millevaches sur lequel s'ouvrait le film. Était cité aussi Geoffroy Lachassagne, autre documentariste, auteur de La Capture, qui rendait compte de la passion (qui fut un temps dévorante) de Bergounioux pour les insectes (le film fut projeté voici quelques mois dans l'auditorium de la médiathèque). Ni l'un ni l'autre n'étaient pourtant visibles dans le documentaire. Plus curieusement, je venais juste d'acheter à la librairie Arcanes ce même après-midi la Correspondance de Bergounioux avec son ami d'enfance le poète Jean Paul Michel.


Dans son texte introductif, Bergounioux revient sur leur rencontre en classe de terminale du lycée Georges-Cabanis à Brive : "J'ai enseigné quarante années durant. A deux ou trois reprises, peut-être, dans cette très longue carrière, j'ai eu, devant moi, une fillette, un garçonnet dont l'esprit, magiquement, semblait déjà dénoué, ouvert à tout, comme s'il avait brûlé les étapes, vaincu le temps. Le professeur que j'étais devenu n'en a pas été complètement surpris parce que l'élève qu'il avait été, avait siégé, une année durant, près de Jean-Paul Michel, déjà vu, de ses yeux, pareille chose, le mûr, le pénétrant discernement auquel parviennent certains adultes, en petit nombre, chez un gamin de seize ans." Ce mince énergumène - ce sont là ses mots - ira à la recherche de ces "rares adultes un peu ouverts qui vivent cachés dans les parages." Parmi eux, un certain Jehan Mayoux, qui fut membre du groupe surréaliste jusqu'en 1967, signataire du manifeste des 121, et qui accueillit Jean-Paul, écrit Bergounioux, "à Ussel, avenue Turgot, sur les premiers contreforts du plateau de Millevaches." Ussel, où Mayoux décède le 14 juillet 1975.

Ce qui m'étonne, et c'est loin d'être la première fois chez lui, c'est le vocabulaire du sacré employé par Bergounioux. Je dis bien sacré, et non religieux. La religion n'a aucune place dans son œuvre, la question de Dieu ne se pose jamais. On a l'impression qu'elle a été réglée très tôt et que ça ne l'intéresse pas du tout. En revanche, affleurent souvent les mots du sacré, comme dans cette phrase : "Il fallait une énergie sauvage, homogène à la sauvagerie ambiante, pour briser l'antique maléfice et, curieusement, je ne sais quelle intuition divinatoire pour la canaliser, l'orienter." Antique maléfice - celui de cette terre marâtre de la paysannerie famélique (le famélique est comme le pendant obligé du maléfique) ; intuition divinatoire - celle du jeune poète débusquant les voix divergentes : on ne sait pas très bien dans quelle mesure l'auteur accorde foi à ces expressions ou bien s'il reste encore, cartésien qu'il est assurément par ailleurs, dans le strict régime de la métaphore. M'est avis que le curseur penche d'un côté, car enfin, dès la page suivante, il enfonce le clou : "Comment s'empêcherdans l'instant mais aujourd'hui encore, d'imaginer la main de forces mystiques dans une affaire qui semblait perdue d'avance (...)"Oui, comment s'empêcher ? Pierre Bergounioux ne s'empêche plus car il écrit encore ceci, pratiquement en conclusion : "Le sort, les puissances occultes ont désigné Jean-Paul, qui s'est mis aussitôt en chemin. Il n'était plus que de le suivre."

Suivons donc ces deux-là.

Extrait de La Capture (2015)

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