Une autre chose mérite notre attention. Sa forme est en quelque sorte inverse de celle du seau. Le seau ouvre son contenu au ciel, s'évase vers les nuages dont il peut même capturer les reflets. L'autre chose s'évase vers la terre et ne contient que de l'air : c'est la cloche, la simple cloche. Or, il se trouve qu'une de ces cloches tient une place importante dans L'enfance d'Ivan.
Elle apparaît dans le film (52'11) couchée sur le sol de la salle souterraine qui sert de refuge ou de cache aux officiers russes qui accompagnent Ivan. On ne saura pas d'où elle vient, elle est là, c'est tout, à terre, déchue. C'est Ivan, resté seul, qui va la hisser au centre de la pièce.
Dans la scène qui suit, il est assailli de visions terribles, personnes massacrées criant vengeance, pleurs, gémissements. Il finit par agiter violemment la cloche comme pour exorciser ces images d'horreur.
Ivan disparu, nous retrouverons la cloche une dernière fois, dans la très belle scène où Macha l'infirmière vient faire ses adieux.
A la fin du plan, on pense que Kholine va faire sonner la cloche, mais il arrête son geste. Cependant la cloche sonne tout de même, ou plutôt on entend sonner une cloche, et aussitôt on bascule à la fin de la guerre, à la prise de Berlin. C'est la cloche qui a opéré le saut dans le temps.
Ainsi va le cinéma de Tarkovski, hors de toute symbolique déjà tracée, dans la concrétude de simples choses autour desquelles se rassemblent ou se déchirent les hommes.
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