"Tous mes films, d'une façon ou
d'une autre, répètent que les hommes ne sont
pas seuls et abandonnés dans un univers vide, mais
qu'ils sont reliés par d'innombrables liens au
passé et à l'avenir, et que chaque individu
noue par son destin un lien avec le destin humain en
général. Cet espoir que chaque vie et que
chaque acte ait un sens, augmente de façon
incalculable la responsabilité de l'individu à
l'égard du cours général de la vie ".
Andreï Tarkovski, Le
Temps scellé, 1989 p. 190
"Un premier, placé en fin de course (dans l'hôpital où meurt le héros) reflète la vie passée. Un second, situé à l'origine de l'histoire, renvoie au présent du narrateur. Un œil entre deux miroirs : en optique, ce phénomène est observable, il produit un dédoublement infini des reflets."
Bon, mon objectif n'étant pas de me lancer plus avant dans une étude du reflet au cinéma, je veux simplement rendre compte de quelques observations recueillies en visionnant le 8 janvier sur Mubi le dernier film de Tarkovski, Le Sacrifice (1986), achevé quelques mois avant sa mort, d'un cancer, à Paris. Film que j'avais vu la première fois le 17 mai 1995, le jour des cinq ans de Pauline, et que j'avais déjà trouvé éblouissant.
Curieusement, c'est aussi un 17 mai (cinq ans plus tard, en 2000) que Gilles de Staal, sur le site du journal L'Humanité, écrit : "C'est à Moscou, dans les années soixante-dix, lors d'une séance de spiritisme comme les Russes aiment à les pratiquer, qu'Andrei Tarkovski rencontra Boris Pasternak. " Tu réaliseras sept films ", lui prédit l'esprit du prix Nobel. " Seulement sept ? ! ", s'écria le cinéaste, déjà déprimé par les tracasseries soviétiques l'empêchant de filmer à sa guise. " Oui, seulement, trancha Pasternak, mais des bons. " Et de fait, quand, à Noël 1986, Tarkovski s'éteignit à cinquante-quatre ans dans son exil parisien, il venait de conclure Le Sacrifice, son septième et dernier film."
Cette anecdote est rapportée par Chris Marker, auteur d'un documentaire sur Tarkovski, Une journée d'Andréi Arsenevitch, En janvier 1986, sachant le cinéaste condamné, les autorités soviétiques laissent enfin son fils Andreï et sa grand-mère Anna Semionovna le rejoindre à Paris. " Chris Marker est allé les chercher et il a tout filmé, à l'aéroport et ici ", note Tarkovski dans son journal du 19 janvier.
J'avais noté cette prophétie parce qu'elle entrait aussi bien sûr en résonance avec le projet Heptalmanach, fondé sur le nombre 7. Dont je perçus d'autres résurgences, par exemple au tout début du film, avec cette déclaration d'Alexandre :
En écho avec la fin du film, où le même Alexandre est emmené par les infirmiers après avoir incendié sa maison :
Regardez l'ambulance : le nombre 151 y est inscrit. Je ne peux croire que Tarkovski a pris ce nombre au hasard. 151, si l'on additionne les chiffres qui le composent, donne 7. De plus, c'est un nombre palindromique, comme 313, qui préside à cette série de chroniques, palindrome que l'on retrouve aussi, on l'a vu naguère, dans le prénom Otto.***
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* "Et le secret me paraît être le suivant : montrer le moins possible pour que, de ce "moins", le spectateur puisse se faire son idée du "tout". L'image au cinéma, selon mon point de vue, doit être fondée là-dessus. Et si l'on parle de symbolique, alors le symbole au cinéma, c'est le symbole de l'état de la nature et de la réalité... où le principal n'est plus le détail, mais ce qui est caché !" (Andreï Tarkovski, Journal 1970 -1986, 24 janvier 1973, Philippe Rey, 2017)
** Avant-hier, lors d'un dîner avec des proches aucunement au courant de mes dernières dérives, l'un d'eux annonce que son neveu part bientôt pour Cracovie (pour aller ensuite à Auschwitz). Et je suis saisi de cette coïncidence, parce qu'il ne me semble pas avoir entendu parler de Cracovie depuis des lustres. Et soudain, c'est là, un mot anodin dans la conversation, mais écho, inconscient chez celui qui le prononce, à la quête personnelle.
*** Le plasticien Otto de Marc-Antoine Mathieu s'appelait Spiegel. Autrement dit, le miroir, en allemand.
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