"Filles sont très belles et gentes
Demourantes à Sainct-Genou".
François Villon
François Villon
Deux localités sur le même parallèle, deux saints évêques de Cahors, Genou et Ambroix. La question se pose naturellement : pourquoi Cahors ?
Il se trouve que Cahors n'est pas une inconnue dans la géographie sacrée berrichonne.
De la vaste abbatiale de Déols, près de Châteauroux, ne restent guère que le clocher et quelques vestiges pour la plupart conservés au Musée Bertrand de Châteauroux. Ainsi des fragments du tympan.
Or, selon Jean Favière (Berry Roman, Zodiaque, 1970, p. 201), il évoque "plus spécialement le Christ du tympan de Cahors." De même que Cahors est situé au Nord géographique de Toulouse, l'autre grand centre zodiacal héritier des omphaloi égéens, et que le tympan lui-même de cette cathédrale Saint-Etienne est celui du portail Nord, Déols est situé au nord de Neuvy Saint-Sépulchre.
En outre, le socle sur lequel il repose est porté par deux animaux : le lion et le dragon. "Cette représentation des symboles de l'Antéchrist et du Diable suivant Honorius d'Autun, poursuit Jean Favière, fréquente dans la sculpture gothique, est unique dans l'iconographie des portails romans."
Sommes-nous en présence là encore d'un écho à Cahors ? Il n'est pas interdit de le penser quand on voit que Doumayrou rattache Cahors au chaos primordial :
"Ce nom, ainsi que celui du Quercy, vient des celtes Cadurques, avec le souvenir des racines grecques cha, s'entrouvrir (d'où vient chaos) et chad, prendre, saisir, caractérisant l'avidité bien connue de cette gueule d'enfer qu'est le chaos." (Géographie sidérale, p.168)
Le géographe Augustin Berque, dans son livre Écoumène, vient à l'appui d'une telle interprétation : après avoir noté que Chaos est de même famille que chainô (s'ouvrir), qui provient de la racine indo-européenne ghei-, comme le latin hiatus, il relève que "nombreux sont les auteurs qui leur apparentent chôra, terme que Platon utilise dans le Timée pour dire le lieu des choses au sein du monde sensible."
"Le Timée, poursuit-il, est l'une des dernières œuvres de Platon, peut-être la plus célèbre. C'est en effet celle où il ramasse son ontologie et sa cosmologie - son onto-cosmologie, l'une allant avec l'autre - et qui narre entre autres le mythe de l'Atlantide. Pour ce qui nous concerne, on y trouve sa théorie du lieu. Après avoir distingué deux sortes d'être : la Forme ou Idée intemporelle et aspatiale (eidos ou idea), c'est-à-dire l'être absolu qui est l'"être véritable" (ontôs on) et relève de l'intelligible, d'une part, d'autre part l'être relatif ou en devenir (genesis), qui relève du sensible, Platon introduit un "troisième genre" (triton allo genos, 48e 3), qu'il va appeler chorâ."
Tympan de la cathédrale de Cahors |
Le problème est que Platon ne donne pas de définition très précise de cette chorâ,
ne la désignant que par des métaphores qui, selon Berque, paraissent
peu cohérentes. Des choses qui sont, elle semble comme l'empreinte et en
même temps la matrice, mère (mêtêr) ou nourrice (tithênê).
"Si Platon, continue-t-il, ne trace pas de figure claire de la chorâ, du moins pouvons-nous inférer une image de ce qu'il lui associe. Genesis, que les spécialistes, pour cadrer avec le système platonicien, interprètent comme l'être relatif, le devenir ou l'étant, cela exprime d'abord et fondamentalement l'idée d'engendrement (du radical indo-européen gen- ou gne-, lequel a été dans nos langues, c'est le moins qu'on puisse dire, extrêmement prolifique). Ce n'est évidemment pas un hasard si, dans le Timée, cette idée se trouve couplée à celle de chorâ, qui nous renvoie, en deçà d'elle-même, au chaos comme béance."
Et nous pourrions écrire, en écho à Augustin Berque, que ce n'est évidemment pas un hasard si l'histoire de saint Genou (dont la racine gen- est manifeste) est couplée à celle de la ville de Cahors, tirant son nom du Chaos (et anagramme de chorâ, par dessus le marché).
En faisant de la vieille de Brisepaille, près de Saint-Genou, l'accoucheuse de Gargamelle, Rabelais s'inscrivait parfaitement dans cette ontologie platonicienne.
"La chorâ, [...], c'est bien l'ouverture par laquelle adviennent à l'existence les êtres qui vont constituer le monde. C'est le lieu géniteur et le giron, l'i grec hospitalier de tout ce qu'il "y" a sous le ciel" (Ecoumène, p. 22-23).
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