lundi 1 mai 2017

# 103/313 - Chaos papal

Le 3 avril 2005, Robin Plackert rapportait donc l'événement suivant :
"Revenant samedi d'une matinée de travail dans le petit village de Montipouret, je rejoins la route de Châteauroux au-dessus de Corlay. Sur France-Culture, on ne parle que de la mort prochaine du pape Jean-Paul II. Je réalise soudain que ce flamboyant camion rouge que je suis depuis quelques kilomètres est d'origine polonaise : le blason et le sigle PL ne laissent aucun doute.

Je pioche mon appareil numérique dans mon sac et je prends une photo du camion. Je m'approche le plus près qu'il me soit possible : la plaque d'immatriculation - KAO 995P - attire le commentaire. Désigne-t-elle la mise au tapis du vieux boxeur spirituel ? Ou annonce-t-elle le chaos où risque de plonger l’Église avec la mort de son souverain pontife ? Pour prendre une nouvelle photo plus rapprochée, il me faudra attendre de rentrer dans Châteauroux et là encore, je crus bien devoir y renoncer car à trois reprises les feux passèrent au vert à notre arrivée, ne me laissant pas le temps de mettre en route l'appareil. Mieux, le camion s'engouffra dans le quartier Saint-Jean, ce qui me déviait de ma propre route. Tenace, je le suivis mais il se gara alors un peu plus loin sur le côté droit. Avait-il repéré ma traque ? S'en inquiétait-il ? Je n'osais m'arrêter moi aussi et, un peu déçu, le dépassai. Deux cents mètres plus loin, je stoppai à mon tour pour rebrousser chemin. Et voilà que le camion repart et vient s'arrêter à ma hauteur... Un homme descend, une carte routière à la main. Il m'explique qu'ils cherchent la route de Blois... Il est clair qu'ils sont perdus, mes routiers polonais. J'invite donc l'homme à me suivre, je me fais fort de les remettre dans le droit chemin... Je repars, mais je me suis sans doute mal fait comprendre car ils font demi-tour... Têtu, je les suis à nouveau et là, au feu rouge de la rue Combanaire, je prends enfin ma photo :  


Je les abandonne un peu plus loin sur les boulevards.

Plus tard, à la maison, c'est la provenance du camion, indiquée au bas de la plaque - Bielsko Biala - qui m'interroge. Le nom ne me dit rien, mais s'il avait lui aussi un rapport avec le pape, il me semble que la coïncidence en serait encore rehaussée. Une première recherche sur le net est décevante : ville historique de Silésie, Bielsko Biala ne m'apporte aucun indice. C'est que j'étais encore trop ignorant de la biographie papale : les informations m'apportent l'élément manquant. Le lieu de naissance de Karol Wojtyla : Wadowice. Un nouvelle recherche m'indique que les deux villes sont fort proches :

 Mieux, j'apprends de source vaticane, que le propre père de Jean-Paul II (prénommé également Karol), est né à Lipnik, près de Bielsko Biala."
Trois jours plus tard, 6 avril 2005, le chaos papal rebondit à travers une émission de radio :
"Fin d'après-midi. Je vais chercher Gabriel chez sa nourrice. France-Culture, baillonnée ce matin par une grève, a repris de la voix. Mais c'est encore du pape que l'on cause et j'écoute tout d'abord distraitement. Puis je réalise que ce n'est pas de Jean-Paul II qu'il s'agit, mais de ses prédécesseurs et de Rome comme espace sacré, lieu de rituels hérités de l'antiquité. J'apprends que dès que la rumeur courait que le pontife était à la veille de trépasser, le peuple commençait à se livrer à un certain nombre de saccages. Une attitude bien différente de celle que l'on observe aujourd'hui, une attitude qui semblerait bien incompréhensible aux foules dévotes qui affluent vers la place Saint-Pierre… Et je bondis presque quand j'entends Martine Boiteux affirmer que, comme dans les sociétés traditionnelles, la mort du chef ouvrait "une période de vacance, de béance, de chaos total." Le palais du pape était attaqué, on s'en prenait à ses biens, voire à sa famille. Toutes les fonctions officielles étaient arrêtées à l'exception de celle du camerlingue, dont le premier souci était de constater la mort du pontife en le frappant trois fois sur la tête avec un marteau d'or…

Cette émission passionnante, je l'ai réécoutée le soir-même : il s'agissait d'une rediffusion d'un épisode des Chemins de la Connaissance : les chemins de la papauté par Philippe Le Villain. Ce chaos ouvert par le décès des anciens papes, dont j'ignorais complètement l'existence, ne pouvait que me rendre plus vive encore l'interrogation que je posais au sujet du KAO du camion polonais."
 
Est-ce hasard si, hier soir, j'ai vu pour la première fois le film étrange et magnifique de Krzysztof Kieślowski, La Double Vie de Véronique (Podwojne zycie Weroniki, 1990) ? Deux existences sont mises en miroir : celles de deux jeunes femmes  portant le même prénom, incarnées par Irène Jacob. "L’une vit en Pologne, l’autre en France, écrit Olivier Père sur le site d'Arte. Elles partagent le même bonheur de vivre et un don pour le chant. Elles se croisent accidentellement et succinctement sans le savoir à Cracovie, peu de temps avant la mort soudaine de Weronika lors de son premier concert de choriste, victime d’une malaise cardiaque. Cette disparition brutale aura des résonances sur la vie et les choix de Véronique, qui réside à Clermont-Ferrand."

Regardez sur la carte de Bielsko-Biala. Au-dessus, à droite, vous trouverez Krakow.
Ce n'est autre que le nom polonais de Cracovie.

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