jeudi 6 juillet 2017

# 160/313 - De Mélusine à Luzeret

La question est depuis longtemps de savoir si Mélusine tire son nom de Lusignan, le château qu'elle a fondé, ou bien si c'est celui-ci qui lui doit son nom ? Claude Lecouteux penche pour la première hypothèse, réhabilitant ainsi la thèse souvent raillée de Léo Desaivre, selon laquelle Mélusine serait la déformation de "mère des Lusignan" : 
 "Cette fée bienveillante qui a édifié la forteresse de Lusignan est donc, dans l'esprit des hommes de l'époque, aussi bien à l'origine de la réussite de la lignée que de son déclin. Au Moyen Age, on appelait ces fées "bonnes dames", et il n'est pas impossible, ni même invraisemblable de penser que le génie tutélaire du château fut nommé "bonne dame de Lusignan", puis par extension "mère Lusignan" comme il est fréquent dans nos campagnes. L'usure de la langue conduit alors à une contraction de cette appellation en "merlusignan", et, les liquides /r/ et /l/ ayant presque le même point d'articulation, nous aboutissons à la forme "mellusignan", avec gémination du /l/ puis à Mellusigne, forme attestée par les manuscrits." (Mélusine et le chevalier au cygne, p. 45)
Mais la question n'en est que repoussée : pourquoi la fée a-t-elle été rattachée à cette famille, à ce lieu même de Lusignan ? La ville, qui se situe à la bifurcation des chemins Poitiers-Saintes (route de Saint-Jacques) et Poitiers-Niort-La Rochelle, se place donc dans le signe du Bélier du zodiaque neuvicien. Or, dans le secteur homologue du zodiaque toulousain, on rencontre Saint-Jean-de-Luz. Doumayrou : "port extrêmement actif au XIIe siècle : l'attribut de ce nom venu d'un mot basque (lohitzun) signifiant marais, a pris tout naturellement la forme romane (lutz) du nom de la lumière, que le tourbillon du Bélier doit extraire de la tourbe ; on sait déjà, si l'on se souvient de ce qui a été dit à propos du mot troubadour, que cette lumière est la trouvaille par excellence."

(Source : Estienne de Lusignan: La Généalogie des 67 très illustres maisons. Paris, 1586)
Ajoutons que dans le prolongement de l'axe Toulouse-Saint-Jean-de-Luz, on découvrira Saint-Jacques de Compostelle. La même forme se retrouve-t-elle à la racine du nom des Lusignan ? Ce serait cohérent avec la logique du signe et ferait en quelque sorte de Mélusine une mère-Lumière. A l'appui de cette hypothèse, on peut avancer la présence en Bélier, non loin d'Argenton, du village de Luzeret qui, au-delà de son nom (Albert Dauzat le dérive de l'ancien français lusier : porte-lumière), ne laisse pas d'être intéressant.

Tout d'abord, remarquons qu'il est situé sur le méridien de Toulouse. Ensuite son église est la seule de la région à être consacrée à saint Vivien, mort en 460. Le site nominis en donne la biographie suivante : "Originaire de Saintes, il devint administrateur de la région de Saintes par décision de l'empereur Honorius, puis renonçant à cette charge, il devint prêtre et évêque. Il connut l'invasion des Visigoths d'Espagne et accompagna les prisonniers jusqu'à Toulouse pour les soutenir dans leur épreuve. Il gagna l'estime du roi Théodoric et put obtenir de lui, quelque temps plus tard, la libération des prisonniers. Il est reconnu au martyrologe romain, mais n'est fêté que dans le diocèse de La Rochelle."

Ce n'est pas le seul lien existant sur la commune avec la Saintonge puisque en aval de la Sonne, la petite rivière qui arrose Luzeret, on trouve les vestiges de l'ancienne abbaye de Loudieu (de loco dei, à l'origine, c'est-à-dire le lieu Dieu ). Or celle-ci relevait de l'abbaye de Fontdouce, sise en Charente-Maritime. Les deux édifices sont pareillement situées dans un vallon, près d'une source (à la Loudieu, elle est même réputée miraculeuse : elle guérirait les maux d'yeux), à l'instar de la plupart des abbayes cisterciennes (d'ailleurs, le pape Alexandre III, dans une bulle du 31 décembre 1163, ordonnera aux religieux de suivre la règle de Cîteaux). Fondée en 1111, Fontdouce s'était développée grâce à notre vieille connaissance Aliénor d'Aquitaine dont les dons avaient permis la construction d'un second monastère de style gothique. Il semble a priori hasardeux de rapprocher le nom de la rivière, la Sonne, du nom allemand du soleil, mais les influences tudesques sont-elles si rares dans notre langue ? Remarquons que le fondateur de Fontdouce n'est autre que le dénommé Wilhelm de Conchamp , seigneur de Taillebourg ( Wilhelm est le pendant germanique de Guillaume). La forme gothique du soleil est sunno. D'ailleurs, selon le Dictionnaire Historique de la Langue Française (Robert, 1992), le latin classique sol "appartient à une famille de mots indo-européens désignant le soleil, affectant des formes diverses qui impliquent une racine avec alternance l-n dans la flexion ; sol proviendrait d'une forme ◦swol- ; le grec hêlios (→hélio-) d'un ◦sawelios."


La racine grecque, nous la retrouvons dans le mythe même de Chrysomallos, le bélier ailé à la toison d'or, en la personne de Hêllé, la lumineuse, fille d'Athamas, roi d'Orchomène. Voyant son pays dévasté par la sécheresse et la famine, cet Athamas envoya à Delphes des députés pour consulter l'oracle d'Apollon. Soudoyés par Ino, la seconde épouse d'Athamas, qui haïssait les enfants du premier lit, Hêllé et son frère Phrixos (le bouclé), ils déclarèrent que leur sacrifice était nécessaire à l'apaisement des dieux. Le brave bélier, qui avait eu vent du complot, emporta alors les deux enfants dans les airs. Mais l'une de ses cornes se brisa et la jeune fille tomba dans la mer, qu'on nomma dès lors Hellespont, aujourd'hui le détroit des Dardanelles. Parvenus en Colchide, Chrysomallos ordonna à Phrixos de l'immoler puis il monta au ciel où il devint le premier signe du zodiaque. Sa toison d'or fut alors cachée par Phrixos dans un bois consacré à Arès (maître traditionnel du signe) et devint l'objet de la quête des Argonautes menés par Jason.

J'aime à croire que c'est pour porter souvenir du bris de la corne de Chrysomallos que l'alignement Luzeret - Neuvy Saint-Sépulchre passe par Malicornay, ancienne place forte et paroisse dépendant, comme Luzeret d'ailleurs, de l'abbaye de Déols (mais je note aussi qu'un étang Malicorne existe au nord du village, à quelques kilomètres, au milieu des bois). L'astrologue Jean-Pierre Nicola propose une interprétation du mythe qui n'est pas sans intérêt : "La Fable exalte la jeunesse... votre jeunesse. Elle oppose le divin au terrestre. Les enfants de Néphélé sont les fruits des nuages et du vent (Athamas est fils d’Eole, dieu du vent)... Une belle-mère calculatrice veut les supprimer pour que ses propres enfants, créatures terrestres, héritent du pouvoir temporel. Ses calculs sont mauvais. " En effet, Athamas, instruit plus tard des visées d'Ino, tua leur fils Léarchos dans une crise de folie.

La jeunesse, les enfants, je les retrouve encore, liés à cet élément aquatique décidément omniprésent, en relisant Le florilège de l'eau en Berry, de Jean-Louis Desplaces (2ème volume, Buzançais, 1981) : outre l'église, la paroisse de Luzeret abrite une fontaine Saint-Vivien. Situé à 60 mètres au sud de l'édifice religieux, sur les bords de la Sonne, elle était le but d'une procession le 28 août. On invoquait alors Saint-Vivien pour la fièvre des enfants : le rituel consistait en trois tours d'église et la palpation d'une des deux statues en plâtre du saint.

2 commentaires:

jean-Claude Moreau a dit…

Plus prosaïquement Stéphane Gendron, dans son ouvrage "Les noms de lieux de l'Indre" page 19, rattache le nom de Luzeret à un un nom propre romain "Lucerius". Il donne également quelques repères historiques de l'évolution du mot aboutissant à la forme définitive "Luzeret". Bien sûr "Lucerius" a aussi une origine ... à éclaircir ! Si Gendron, dans la présentation de son ouvrage, prend la précaution de dire que la toponymie n'est pas une science exacte, c'est que parfois l'abondance de pistes oblige à la perplexité. Cette abondance de pistes n'est elle pas pour partie une création culturelle populaire ? Cette création devient alors représentative de ce que nous sommes ?

Patrick Bléron a dit…

J'avais répondu un peu longuement à ton commentaire, Jean-Claude, mais au moment de publier, un message d'erreur s'est affiché et tout ce que j'avais écrit s'est effacé. Je n'ai pas le courage de tout reprendre, me disant par-dessus le marché qu'il est bien inutile de se justifier (je n'ignorais pas que ton "plus prosaïquement" dissimulait un "plus véridiquement", et c'est là-dessus que je voulais argumenter). Bref, je renonce à défendre mon approche moins "prosaïque" et plus "poétique" (pour moi ce territoire est un poème où les lieux entrent en résonance et s'éclairent les uns par les autres).
Ceci dit, que tu m'envoies ceci un 7/07/2017 à 7 h 27, me plaît beaucoup. Je ne sais si c'est volontaire mais quoi qu'il en soit c'est un beau clin d'oeil...