samedi 1 juillet 2017

# 156/313 - Aliénor et Mélusine

Avec Aliénor d'Aquitaine et Lignac, c'est une nouvelle fois la géographie sacrée berrichonne qui s'invite au banquet. Dès 2005, Robin Plackert avait longuement enquêté sur les indices présents dans cette région proche du Poitou, et donc des terres de la fée Mélusine. A ce propos, c'est le duc Jean de Berry, à qui vient d'être rendu en 1369 le comté de Poitiers, qui demande avec sa soeur Marie à Jean d'Arras, libraire et relieur, de rédiger l'histoire de la famille des Lusignan et de leur château, construit selon la légende par la fée Mélusine. Disposant de la vaste bibliothèque du duc où abondent chroniques, récits de voyages (parmi lesquels Le Livre des Merveilles de Marco Polo), compilations de légendes et autres livres d'astrologie, de magie et de divination, Jean rend sa copie en 1392. Ce Roman de Mélusine est le parfait exemple de la fusion entre courtoisie, thèmes chevaleresques et mythes celtiques dont Régine Pernoud voyait l'origine à la cour d'Aliénor d'Aquitaine. C'est à celle-ci, "reine de France, puis d'Angleterre, et surtout reine des Troubadours, que Poitiers, assure Guy-René Doumayrou, doit d'avoir été foyer de poésie et centre de la vie courtoise et chevaleresque dans la seconde moitié du XIIe siècle."

Raymondin découvrant le secret de Mélusine. Illustration du Livre de Mélusine de Jean d'Arras (1478)
 Aliénor avait, il est vrai, de qui tenir : son grand-père, Guillaume IX d'Aquitaine, le fondateur de Château-Guillaume, fut le premier troubadour connu. C'est un gaillard qui conjugue le goût des armes et celui des vers : expéditions militaires, croisade, participation à la Reconquista qui ne lui valent pourtant pas la reconnaissance de l'Eglise, et pour cause : il s'empare de biens religieux pour financer sa campagne contre Toulouse et va jusqu'à enlever à main armée la femme de son vassal, le vicomte de Chatellerault, ce qui lui vaut l'excommunication. Au légat chauve qui lui aurait enjoint de s'en séparer, il aurait rétorqué : « Compte là-dessus, et passe-toi le peigne ! » Cette maîtresse séjourna donc dans un donjon qu'il fera adjoindre à son palais : la tour Maubergeon, dont le nom vient du mérovingien mal ou mallum qui désigne le tribunal, et de berg qui signifie colline. Cette muse qu'il appelle, lui, la "Dangereuse" est bientôt surnommée par le peuple la " Maubergeonne ". Claude Lecouteux note que c'est dans cette tour Maubergeon que Couldrette dit qu'on trouva deux livres en latin rapportant la légende de Mélusine.


Guillaume IX d'Aquitaine
C'est que Guillaume est aussi un homme curieux et cultivé qui, avant Aliénor, sut accueillir dans sa cour de Poitiers les artistes de son temps, ainsi le chevalier et barde gallois Blédri ap Davidor qui réintroduisit en Gaule l'histoire de Tristan et Iseut. Et puis c'est surtout l'un des premiers troubadours, écrivant en langue d'oc, et non pas en latin, des chansons d'amour, parfois très crues (par exemple dans la chanson convenable, il demande à ses compagnons quel cheval il doit monter, d'Agnès ou d'Arsens). On fera plus subtil par la suite...

En Espagne, à la bataille de Cutanda, il aurait combattu avec la corps de sa maîtresse peint sur son bouclier. Mais ce rustre fougueux est aussi capable de vers charmants :

Ab la doussor del temps novel
folhon li bosc e li auzel
chanton chascus en lor lati
segon lo vers del novel chan :
adonc esta ben qu'om s'aizi
d'aisso dont om a plus talan.
Par la douceur du temps nouveau
feuillent les bois et les oiseaux
chantent chacun dans son latin
sur le rythme d'un chant nouveau
donc il convient que l'on s'accommode (se réjouisse)
de ce qu'on désire le plus !

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