George Sand, La Mare au diable, ch. VII
Alors quelle est la solution ? Elle est simple, et porte un nom bien connu de nous : l'alignement. Deux arbres ne suffisent pas à se donner une direction fiable : depuis un point de départ A, il faut viser au moins deux autres arbres dans le même alignement. "Une fois arrivé à B, explique Denis Moreau, je dois, avant de continuer à avancer, viser un nouvel arbre E, situé dans l'alignement de C et de D. [...] si, une fois arrivé à chacun des arbres qui ponctue mon parcours, je réitère l'opération de visée de trois arbres (ou plus) en prenant garde d'ajouter à chaque étape un nouvel arbre situé dans le même alignement, je pourrai aller droit et conserver la direction initialement choisie."
N'oublions pas maintenant qu'il s'agit pour Descartes d'une comparaison, à l'appui de sa seconde maxime. Que signifie-t-elle ? Le voyageur qui se contente d'une première direction est comme celui qui, dans la vie, s'en tient à une décision initiale :
"L'expérience apprend qu'il y a là beaucoup de naïveté et de présomptueuse confiance, et que ce type de décision ponctuelle est peu suivi d'effet : le temps mine la décision, les bonnes résolutions s'étiolent et il apparaît vite que la volonté initiale n'était que velléitaire. [...] La comparaison du voyageur égaré ne figure donc pas une unique "grande" décision prise une fois pour toutes, mais une patiente réitération de choix modestes dont aucun n'est, considéré isolément, plus décisif qu'un autre, mais dont l'accumulation permet d'aller droit, c'est-à-dire d'inscrire la décision dans la durée. Cette seconde maxime invite à se défier de la grandiloquence stérile des décisions spectaculaires et convie à parier sur l'efficacité des menus choix, patients, têtus, dont la répétition, l'accumulation permettent à la décision de se dire toujours au présent." (p.68-69)J'y vois une application personnelle : la décision d'écrire sur Alluvions un article par jour tout au long de l'année 2017 fut une stimulante décision initiale, mais tenir l'engagement, alors que personne ne vous y a obligé, et que le contrat est juste passé vis-à-vis de soi-même, est loin d'être simple. Le doute, les soucis inévitables du quotidien, l'absence de retours, les périodes d'éloignement de l'outil informatique qu'il faut anticiper, bref, nombre d'obstacles se sont dressés et continueront de se dresser sur le chemin. J'ai aujourd'hui dépassé le milieu du gué et abordé le second versant de l'année, mais je sais que c'est parfois par le silence imposé à ses propres réticences et tentations d'abandon que l'entreprise perdure, sans plus de garantie sur sa valeur (ce n'est parce que l'on s'obstine que le résultat en acquière plus de légitimité). Et je suis volontiers Denis Moreau quand il conclut que "Descartes ou un cartésien pourraient donc faire leur sans hésitation la devise de l'imprimeur renaissant Christophe Plantin : labore et constantia, "par le travail [sur soi] et par la constance."
Voilà au moins un point sur lequel je puis me dire cartésien.
Logotype. Au Compas d'Or. Labore et Constantia. |
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