Le 14 juillet dernier, je relevais une
connexion entre Descartes et l'écrivain japonais
Kenzaburô Ôe, connexion confirmée le jour suivant. Étonnamment, c'est aussi avec Pierre Gascar que Ôe doit être relié. Non pas comme un écrivain parmi d'autres qu'aurait apprécié ce grand amoureux de la littérature française mais bien comme un écrivain essentiel, à l’influence originelle décisive. On peut en trouver l'illustration dans la
nécro de Libération datée du 27 février 1997 :
« Mort de Pierre Gascar - Je coupai un peu nerveusement la ficelle du colis et déchirai l'emballage: la boîte à chaussures était remplie de lichens.» C'est une histoire que Pierre Gascar, mort le 20 février à 80 ans, raconte dans Portraits et souvenirs (Foucault, Aragon, Cocteau, notamment), paru en 1991 chez Gallimard. Recevoir pareil cadeau de Roger Caillois n'indique pas seulement l'amitié qui unissait l'auteur à ses confrères (née de son œuvre et de son activité de critique), elle résume la relation entretenue par Gascar avec la nature. Orphelin de mère, il a été un enfant élevé à la campagne, et a passé la fin de sa vie dans un village du Jura auquel il a consacré son dernier livre, la Friche. Entretemps, en une trentaine d'ouvrages (proses, romans, biographies, ce contemplatif n'écrivait pas de poèmes), il a étudié l'homme dans son environnement, écologiste pessimiste avant que ce soit l'usage. Marqué par sa captivité au camp de Rawa-Ruska, il a écrit aussi sur les ravages de la guerre. En 1953, le prix Goncourt récompense le Temps des morts et le recueil de nouvelles les Bêtes, un des rares titres de Pierre Gascar à figurer en collection de poche. Le Japonais Kenzaburo Oé ne manque jamais de rappeler sa dette à son égard, ayant commencé à écrire sous son influence, à cause de sa manière de parler des animaux, des forêts." [ C'est moi qui souligne]
Dans le livre d'entretiens que j'évoquai naguère, Pierre Gascar est ainsi nommé dès la page 35, dans une section du livre consacré au professeur Watanabe Kazuo, qui fut déterminant dans la vocation littéraire de Ôe. Traducteur de Rabelais, il fut aussi, signale-t-il, traducteur de romans contemporains "comme, par exemple, ceux de Pierre Gascar."
Sur cette histoire de lichens envoyés par Roger Caillois, il faut lire l'un des rares ouvrages de Gascar parus en poche, dans la collection L'imaginaire :
Le présage (1972), car le sujet en est précisément la raréfaction ou la disparition des lichens un peu partout dans le monde. Il écrivait ainsi :
"Le recul des lichens non seulement devant l'industrialisation, mais aussi devant la simple urbanisation, c'est-à-dire devant l'accroissement de l'espèce humaine et sa concentration, annonce, à n'en pas douter, un affaiblissement général de la nature. La disparition progressive des ethnies anciennes est, de son côté, le signe avant-coureur du dépérissement des sociétés. On peut craindre que le monde ne finisse par mourir, un jour, par manque d'originalité." (p.138-139)
ou bien encore :
" De la même façon, au cours de mes voyages, je m'étais intéressé à tout ce qui se rapportait aux lichens, à leur sensibilité à la radioactivité et à la pollution de l'air, à leur valeur alimentaire où à leurs vertus thérapeutiques virtuelles, non pas comme à des phénomènes bien déterminés, constituant une fin en soi et dont on pouvait tirer des leçons pour la vie quotidienne commune, mais plutôt comme à des "signes d'intelligence" qui tranchaient sur la taciturnité du monde en général. Ces signes n'étaient que les manifestations à peine perceptibles et comme accidentelles d'une présence qui restait insoupçonnable partout ailleurs ; ou presque partout, car il se pouvait que les lichens ne fussent pas les seules preuves de l'existence d'un sens caché dans tout ce qui nous entourait et nous accablait sous le poids des énigmes." (p.174)
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Photo : PB |
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