vendredi 11 juillet 2025

Artistes de la faim

Il n'y a rien de fortuit dans cette émergence de la mère de Marcelle Pichon en même temps que celle de la figure de Kafka, dans Le cœur ne cède pas, de Grégoire Bouillier, ainsi que nous l'avons vu dans Gaspar et Kafka. Les deux sont réunies aux pages 325 et 326, à la section 41.1. Je me permets de citer celle-ci entièrement car ces passages sont fondamentaux :

Pour une fille, il existe un lien entre sa mère et son rapport à la nourriture. C'est de notoriété publique. Un trouble maternel peut aisément dégénérer en trouble alimentaire et, à l'adolescence, Marcelle fut-elle anorexique ? Chercha-t-elle, en rejetant la nourriture, à rejeter sa mère qui l'avait rejetée ? Si oui, cela lui permit-il d'avoir une taille mannequin et, dans un premier temps, de réussir dans le milieu de la mode, comme si le problème avec sa mère se révélait tout à coup un atout ? Car la société se nourrit volontiers de nos manques et désarrois. Elle nous les rachète pour pas grand chose, avant de nous les revendre au centuple. Les victoires cachent toujours souvent des défaites intimes. Elles donnent l'illusion de surmonter nos problèmes alors qu'elles les amplifient et les consolident en nous, jusqu'à les rendre insurmontables.

En se laissant mourir de faim, Marcelle chercha-t-elle à tuer une bonne fois pour toutes sa mère et le manque qu'elle avait d'elle, qui l'emplissait ? Chercha-t-elle à lui envoyer un message post mortem ?

A la fin de sa nouvelle Un champion de jeûne, Kafka fait dire à son "artiste de la faim" que, s'il avait eu le choix, s'il avait pu faire autrement, il ne se serait jamais laissé mourir d'inanition. Il ne se serait pas privé, ah non ! Il aurait mangé tout son chien de saoul et il s'en serait même mis plein la lampe comme tout un chacun ; sauf que "je dois m'affamer", explique-t-il. Et pourquoi doit-il s'affamer ? "Parce que... bafouille-t-il... parce que je n'ai pas pu trouver d'aliments qui me plaisent. Si je les avais trouvées, je ne me serais pas fait remarquer, et je me serais rempli le ventre comme toi et les autres." Ce furent ses derniers mots."

Ne trouver nulle part dans le monde d'aliments à son goût, ne trouver de toute sa vie aucune nourriture qu'on puisse aimer et capable de vous rassasier : voici la définition même de la mélancolie. Voilà le drame premier dont, peut-être, souffrit Marcelle. Sa dette affective perpétuelle.

 On peut retrouver sur le site du livre des documents complétant cette section.

Plus loin, à la page 516, juste après avoir évoqué un extrait de la Lettre au père de Kafka, un dialogue entre Bmore et Penny (le couple fictif de détectives que Bouillier a imaginé pour rendre plus vivante son enquête) lui permet de développer une véritable histoire de ces "champions de jeûne"qui ont véritablement existé. Tout cela commençant avec un certain docteur Henri Tanner qui, "voulant comprendre les secrets du corps humain et prouver les vertus thérapeutiques d'une privation maîtrisée de nourriture, mena un jeûne expérimental de quarante jours, sous surveillance médicale, au Clarendon Hall, une célèbre salle de spectacle de Manhattan." Le départ était donné pour une course aux records de jeûne, avec des exhibitions où l'on payait pour observer des gens (parfois enfermés dans des cages) ne pas manger... Des performances qui remplissaient encore les salles dans les années 50. 

 

 

Peu de temps après avoir lu ce passage, j'ai retrouvé le 5 juillet dans la biographie de Kafka par Reiner Stach mention de ces spectacles. Stach montre bien à cette occasion que l'écrivain - contrairement à son entourage - n'avait aucun mépris pour la culture populaire : "outre le beau, le bon, le vrai, il continua d'aimer tout ce qui était excitant, exotique, bizarre, vivant, érotique, touchant. Il connaissait les critères de distinction - voilà ce qui le différenciait de ses parents. Mais séparer l'expérience artistique de l'impression sensible, du frisson de l'instant, de l'implication intime était un acte d'abstraction pour lequel il ne se sentait ni disposition, ni capacité, ni envie. (p. 485)

Kafka ne dédaignait donc pas de fréquenter ce que certains décrivaient comme les bas-fonds de la culture : "Tout en bas de l'échelle des valeurs artistiques bourgeoises, on trouve le roman de gare et tous les numéros qui s'inscrivent plus ou moins nettement dans le royaume du sensationnel. L'"artiste de cirque", par exemple, ne s'adonne pas à un art digne de ce nom, qu'il s'agisse de ce trapéziste dont un récit tardif de Kafka dépeint la quête innocente de perfection (Première peine) ou pire : d'un Artiste-jeûneur, profession dont le nom contient une touche d'ironie bourgeoise. Et pourtant, Kafka semble s'être senti tout particulièrement à l'aise dans ces zones frontières - souvent assez interlopes - entre l'art et le show."

La nouvelle Un champion de jeûne (dont on voit qu'elle est souvent éditée sous le titre Un artiste de la faim), que Franz Kafka rédigea en mai 1922, fut publiée la même année, deux ans avant sa mort. Je lis sur le site de Radio-France (qui propose une lecture par Jean Topart) qu' "Écrite en deux jours, elle compte parmi les rares que l’auteur pragois n’ait pas entièrement reniées par la suite, le seul récit qu’il jugeait "supportable", et l’unique à paraître de son vivant dans une revue littéraire de renom."

Qu'elle soit encore pertinente et plus que jamais importante pour la compréhension de la psyché humaine, j'en vois encore une preuve dans ce séminaire qui s'est déroulé le 14 mai dernier, à l’hôpital Sainte Anne à Paris. La Chaire de philosophie de l'Hôpital proposait "Kafka Révolté : Portrait de l'artiste en jeûneur."


 

mercredi 9 juillet 2025

Gaspar et Kafka

Plus que jamais plongé dans Le cœur ne cède pas de Grégoire Bouillier, galvanisé que je suis par cette recherche de la rue Championnet, la découverte d'Estella Blain et de l'oiseau bleu. Petite précision sur l'oiseau bleu : j'ai écrit à tort que cette mention de l'oiseau bleu n'apparaît qu'à la fin du livre, ce pourquoi je n'aurais pas tout de suite opéré le rapprochement avec le dernier téléfilm d'Estella Blain. Or j'ai commencé à reparcourir (en diagonale) les trois cents premières pages du récit et j'ai bel et bien trouvé trace de l'oiseau bleu à la page 332 :

"Voici que l'être voyage. Il fait danser les casseroles que la famille, la société et l'époque accrochent à ses basques au lieu que ce soient elles qui le mitonnent et le cuisent à petit feu. Je parle de "l'oiseau bleu" et Eugénie Landré était-elle un oiseau bleu ? Avait-elle l'oiseau bleu ?" 

Eugénie Landré était la mère de Marcelle Pichon. Elle l'abandonna, elle et son père, quand elle eût l'âge de huit ans. Elle épousa ensuite un musicien, Olivier Créach. Etait-elle une femme sans cœur ? s'interroge Bouillier. "En tout cas, assure-t-il, elle voulait échapper à son milieu et à son destin tracé d'avance. [...] Tout le monde se la pète de nos jours, faute de laisser vivre son oiseau bleu. Alors qu'il suffit d'ouvrir sa cage et de le laisser s'ébattre dans son cœur pour s'apercevoir qu'il n'est plus besoin de surjouer ni même de jouer aucun rôle. On n'a plus le besoin maladif d'exister aux yeux des autres car on a l'oiseau bleu. C'est pourquoi il faut chérir son oiseau bleu, il faut le protéger, il faut le préserver à tout prix car, sans lui, nous ne sommes rien, nous sommes des coquilles vides, nous ne sommes plus que le plein d'angoisse des autres.

J'avais tout bonnement oublié cette image de l'oiseau bleu héritée, semble-t-il, de Charles Bukowski (mais je n'ai pas trouvé trace de l'écrivain américain dans le livre).

 

En tout cas, ce n'est sans doute pas un hasard si l'une des deux citations épigraphes du début du livre est cette phrase de Kafka : "Une cage allait à la recherche d'un oiseau." (Réflexions sur le péché, la souffrance, l'espérance et le vrai chemin). Kafka qui est d'une certaine manière au cœur du récit. Page 184, on peut lire ceci :

"Mais qui est Marcelle Pichon, si elle-même ne le sait pas ?

Si elle préférait être une autre.

Sauf que c'est impossible.

Elle doit tenir son rôle.  

Même si ce n'est pas le sien.

Malheureusement.

Dans mon carnet, j'ai noté : "Hypothèse Kafka" (souligné trois fois).

Puis, juste en dessous : "Marcelle P, c'est Kafka, mais la littérature en moins."

J'ai relu deux ou trois fois cette phrase, comme si elle détenait la clé d'un mystère.

Puis j'ai rangé mon carnet dans ma poche intérieure de mon imperméable couleur mastic." 

Kafka, dont j'avais commencé à lire le tome 3 de la formidable biographie de Reiner Stach. Les Années de jeunesse

*

Le dimanche 22 juin, nous regardons sur France 5 le documentaire de Teri Wehn-Damisch, Michelle Perrot, dans l'intimité des chambres. L’historienne, âgée de 97 ans, et encore merveilleusement agile d'esprit, était invitée à exposer sa réflexion sur les chambres dans le cadre de la maison de George Sand, à Nohant. Elle avait publié en 2009 une formidable Histoire de chambres (Seuil, La Librairie du XXIe siècle), que je trouvai à Noz en 2018 et que je lus ensuite avec énormément d'intérêt : "La chambre est une boîte, réelle et imaginaire. Quatre murs, plafond, plancher, porte, fenêtre structurent sa matérialité. Ses dimensions, son décor varient selon les époques et les milieux sociaux. De l’Antiquité à nos jours, Michelle Perrot esquisse une généalogie de la chambre, creuset de la culture occidentale, et explore quelques-unes de ses formes, traversées par le temps : la chambre du Roi (Louis XIV à Versailles), la chambre d’hôtel, du garni au palace, la chambre conjugale, la chambre d’enfant, celle de la jeune fille, des domestiques, ou encore du malade et du mourant. Puis les diverses chambres solitaires : la cellule du religieux, celle de la prison ; la chambre de l’étudiant, de l’écrivain." (Extrait de la quatrième de couverture)

 

On pouvait lire, page 53, que l'expression "chambre à coucher" apparaissait seulement dans les dictionnaires vers le milieu du XVIIIe siècle, la chose étant assurément plus ancienne. "Mais "avoir une chambre à soi", précisait Michelle Perrot, pour écrire, rêver, aimer ou tout simplement dormir - le vœu de Virginia Woolf à l'intention des femmes - est une invention relativement récente dont je voudrais suivre les chemins occidentaux." 

*

Le lendemain, lundi 23 juin, je reçois un commentaire d'Alain Sennepin sur mon article Bestialissima pazzia.

Le premier des mages (Gaspard) de la mosaique de Ravenne, est en couverture du volume 14 de Slovo (Revue du CERES), 1994. Dans ce numéro, François Cornillot "L'Aube scythique du monde slave", considère que Gaspard est scythe. Lui (dans les 5 articles qu'il consacre au lien entre scythes et slaves, dont celui-ci est le premier, dans cette revue jusqu'en l'an 2000) comme Iaroslav Lebedynsky, mettent en exergue le bonnet phrygien comme la coiffe scythe par excellence. Tous deux montrent l'influence de la culture perse sur la Scythie et le monde anatolo-égéen. Cornillot voit en Gaspard une déclinaison du "gospodar" (chef guerrier) scythe, qui deviendra le "hospodar" slave... 


 

Pour mémoire, revoici la mosaïque de Ravenne, avec les trois rois :


Je dois préciser que cette même mosaïque (que je ne connaissais même pas avant d'écrire l'article) apparut fugacement dans une très courte émission précédant le film 1917, qui passait sur France 2 (c'est en seconde partie de soirée que nous avons visionné le documentaire sur Michelle Perrot). Impossible ensuite, hélas, de retrouver trace de cette courte pastille d'animation. En revanche, j'ai retrouvé l'article de François Cornillot sur "L'Aube scythique du monde slave", mais j'avoue n'avoir pas pris le temps encore d'en parcourir le savant contenu.

Bref, un peu plus tard, je reprends la lecture de Reiner Stach à la page 204. Et je tombe sur ces lignes :

"[...] nous ignorons pourquoi Kafka se mit à lire. [...] Avant son entrée au lycée, ces inconscients [ses parents] lui offrirent toutefois la meilleure compagne de tout lecteur débridé : une chambre à soi, dans la nouvel appartement qu'ils louèrent peu avant la naissance d'Ottla juste au-dessus du magasin familial, au deuxième étage de l'immeuble "Aux trois rois " (U Tří králů) du 3, Zeltnargasse. Un lit, un bureau, une bibliothèque, une banquette à la fenêtre qui donnait sur cette petite rue commerçante - et des portes qu'il pouvait fermer derrière lui. Ce fut peut-être le plus grand cadeau qu'ait jamais reçu Kafka."

Le cadeau que m'offrait ce jour était bien cette double résonance à la chambre à soi de Virginia Woolf (réactivée par Michelle Perrot),  et aux trois rois mages scytho-slaves, 

dimanche 6 juillet 2025

L'oiseau bleu

"Marcelle époussette sa robe blanc-bleu des glaciers, remet les plis en place : "C'est la solitude.""

Grégoire Bouillier, Le cœur ne cède pas, Flammarion, 2022, p. 468 

Je me suis donc replongé dans Le cœur ne cède pas, de Grégoire Bouillier. Et suis donc parvenu à la section 52, où l'auteur décide de visiter si possible l'appartement où mourut Marcelle Pichon, au sixième étage du 183 rue Championnet. Ça commence comme ça : "Rue Championnet. A l'angle de la rue Ordener : un café-tabac. La Renaissance. Là où, peut-être, Marcelle aimait s'asseoir en terrasse, prendre un café, un vin blanc, une liqueur, en regardant les gens passer, sans penser à rien ou, au contraire,  en pensant à trop de choses." (p. 430) Cette rue Ordener qu'il cite me rappelle évidemment le Rue Ordener, rue Labat, de Sarah Kofman, court livre bouleversant dont j'ai tiré un article en octobre 2024.

 

Comme cette rue se situe dans le 18ème arrondissement, j'étais allé voir ce qu'en disait Thomas Clerc dans son Paris, Musée du XXIe siècle, Le dix-huitième arrondissement (Minuit, 2024). Ou plutôt non, j'inverse l'ordre des choses, c'est la lecture de Thomas Clerc qui m'a orienté vers Sarah Kofman, dont le texte, publié en 1994 peu de temps avant son suicide, fut réédité en mai chez Verdier, quelques semaines après ma lecture de Clerc, qui écrivait : "Nous ne prendrons que le début de la grande RUE ORDENER (2020 x 20 m) qui traverse le quartier d'est en ouest, et que nous dédions au sublime Rue Ordener Rue Labat de Sarah Kofman. Sarah Kofman (1934-1994) hante cette partie du 18e comme elle hantera peut-être ce livre." (p. 104)

Et puis je réalise que j'ai aussi mentionné la rue Championnet dans un autre article, toujours en parlant de Thomas Clerc, car c'est au 37 de la rue Championnet qu'un autre écrivain se suicida : "Au 37 [de la rue Championnet], s'est suicidé au gaz l'écrivain Sadegh Hedayat, auteur de La Chouette aveugle ; je n'ai pas lu ce livre culte, mais dès qu'un écrivain se suicide, je me sens proche de lui ; pour m'en sentir plus proche, je me jure de lire ce livre avant la fin de l'écriture de ce livre."(p. 304)

Que de suicides ! Hedayat, Kofman, Pichon. Avec cette particularité funeste : l'écrivain iranien et l'ancienne mannequin se sont suicidés dans cette même rue Championnet. Tiens, Clerc évoque-t-il Marcelle Pichon ? Retour au livre. J'y retrouve le même café-tabac : "J'accoste enfin à mon port d'attache, La Renaissance, et m'installe devant le hamburger-frites du p'tit resto sympa. Décor : ce café a servi de cadre à deux films que j'ai vus à quarante années de distance, Le Mouton enragé et Inglorious Bastards, une preuve de plus que ne toucher à rien garantit la possibilité du style. Happening : je demande un café mais ils n'en ont plus ! Je quitte cet établissement au bord de la fiction  et reprends ma route vers la réalité, via IMPASSE ROBERT (137 x 3 m)." (p. 306-307)

Scène 

Scène d'Inglorious Bastards, tournée à La Renaissance
 

C'est fini pour la rue Championnet. Pas de Marcelle Pichon (je suis un peu déçu, on imagine bien).

Par curiosité, j'essaie d'en savoir plus sur Le Mouton enragé. C'est un film de Michel Deville, sorti en 1974, avec Jean-Louis Trintignant dans le rôle principal de Nicolas Mallet, un employé de banque qui fait une ascension sociale fulgurante. La notice Wikipedia confirme que "Beaucoup de scènes du film furent tournées au Bistrot La Renaissance, 112 rue Championnet, à Paris XVIIIe." Je clique sur le lien de la rue, et découvre que six autres films ont été tournés à La Renaissance, et que le numéro 183 est répertorié comme lieu de mémoire, mais il ne s'agit pas de Marcelle Pichon, mais d'Edwige Feuillère, qui y habita lors de son mariage en 1929 (elle n'a pas dû y rester longtemps, vu la description peu engageante que fait de l'immeuble Grégoire Bouillier).

Pour en revenir au Mouton enragé, je note aussi que ce fut le dernier rôle au cinéma de l'actrice Estella Blain :  "Elle tournera toutefois quelques téléfilms supplémentaires avant de se suicider." 

Le Mouton enragé, dernière apparition au cinéma d'Estella Blain

Estella Blain, née Marguerite Estellat, mariée plus tard à Gérard Blain, est aussi une enfant du 18ème. Elle passe son enfance à Montmartre, non loin des studios Pathé-Cinéma, 6, rue Paul Francoeur, Elle s'approche du statut de star mais sa carrière décline, et elle s'enfonce dans la dépression. Le au matin, son corps est retrouvé au fond du jardin de la maison qu'elle occupe avec son compagnon d'alors, à Port-Vendres. Âgée de 51 ans, elle s'est suicidée en se tirant une balle dans la tempe. 

 

Estella Blain

 Estella Blain se lança aussi, sans beaucoup de succès, dans la chanson :

 

Solitude, le drame même de Marcelle Pichon, dont on ne retrouve le corps au 183 rue Championnet que dix mois après sa mort par inanition. Recherchant sur le net à en savoir plus sur ce thème de la solitude associé à Marcelle, je tombe sur cet article de Romain de Becdelièvre sur la revue en ligne En attendant Nadeau. Et je lis ceci :

Mais le cas Pichon fait plus qu’emprunter des tours et détours à la HBO. Il apporte une nouvelle dimension à cette hypothèse du réel-comme-fiction : la poésie. Certains faits de la vie de Marcelle tracent des coïncidences et des correspondances poétiques. La vie a son « génie » qui trouve dans le livre une image tirée d’un poème : « l’oiseau bleu ». Bouillier l’emprunte à un vers de Charles Bukowski : « There’s a blue bird in my heart that wants to get out » / « Il y a un oiseau bleu dans mon cœur qui cherche à sortir. » L’oiseau bleu est l’autre nom de ce travail poétique du réel, l’autre nom d’une « joie de vivre qui sait la saloperie sociale et qui sait le tragique de l’existence ». Le dossier formule alors dans de belles pages l’hypothèse d’une joie malgré tout. L’itinéraire de Marcelle, suicidée de la société, recouvrirait le récit d’une mise à mort de l’oiseau bleu en elle. « L’histoire, elle retient les drames, les catastrophes, les charognes, jusqu’à faire croire que les drames et les catastrophes et les charognes sont ses moteurs ». Le cœur ne cède pas ébauche alors les contours d’une histoire, tue et secrète, d’une joie qui demeurerait. 

Je n'avais pas fait le rapprochement parce que cette histoire d'oiseau bleu n'apparaît qu'à la fin du livre, et je suis loin d'y être encore. Mais la coïncidence s'impose là encore : le dernier téléfilm où apparut Estella Blain fut L'oiseau bleu, diffusé à la Noël 1981, quelques jours seulement avant son suicide. Téléfilm qui n'a même pas l'honneur d'une notice dans Wikipedia. Adapté d'une pièce de Maurice Maeterlinck par le réalisateur danois Gabriel Axel, on a quand même la surprise de voir au générique Bibi Andersson, Claude Piéplu, Suzanne Flon et Niels Arestrup (Estella Blain joue la Mère).


 

vendredi 4 juillet 2025

Dieu est dans les détails

Bon. J'en ai fini, semble-t-il (on ne sait jamais), avec les Adorations des Rois mages, avec Botticelli, Lippi, Vinci, Bosch et Bruegel, avec Épiphanie et Eucharistie, Joseph, Vierge et Enfant, Melchior et Balthazar, et le roi noir, des Maures ou d’Éthiopie, ledit Gaspard. Enfin non, pas tout à fait. Gaspard, c'est l'Attracteur étrange, qui se glisse en loucedé là où vous ne l'attendez pas. Et je ne l’attendais pas en allant voir le dernier film de Cédric Klapisch, La venue de l'avenir. Même si j’attendais sourdement qu'arrive quelque chose, car les deux derniers films de Klapisch que j'avais vus (Deux Moi et En corps)avaient résonné de belle manière avec les thèmes qui m'occupaient au même moment (mais de cela, vous ne trouverez pas trace ici, car ces rencontres sont uniquement relatées dans La neige ne guérit pas de sa blancheur, le livre consacré à ma petite sœur disparue, et qui reste inédit à ce jour*).

La venue de l'avenir jongle entre deux temps distincts, le nôtre et 1895, la fin du XIXe siècle. Adèle (Suzanne Lindon), quitte sa Normandie natale pour rejoindre sa mère à Paris, sa mère qui l'a abandonnée aux bons soins de la grand-mère. Sur une charrette, elle rejoint la gare au pas lent des chevaux. Des hommes travaillent, c'est l'été lumineux, dans les champs environnants, et elle appelle l'un d'eux: Gaspard ! Gaspard ! Et un jeune, son amoureux, accourt vers l'équipage. Ils promettent de s'écrire même si aucun d'entre eux ne sait lire et écrire. Gaspard. Ce freluquet blond ne ressemble en rien au roi noir mais le nom seul suffit à la rêverie.

Ce n'est pas au tout début du film. Au tout début, il y a le musée de l'Orangerie, et les Nymphéas de Claude Monet, avec une séance de shooting de mode menée par l'un des descendants d'Adèle, un jeune photographe qui vit avec son grand-père. Les Nymphéas qui seront aussi à la fin du film, bouclant la boucle.

 

La peinture encore, oui, pas celle de la Renaissance mais celle qui naît en cette fin de XIXe siècle, où la photographie et le cinéma menacent, selon certains, son existence même. Se rappelle alors à moi ce livre lu en septembre 2024, Le syndrome de l'Orangerie, de Grégoire Bouillier. Passionnant. J'avais eu envie d'en parler ici, je n'en ai rien fait. C'est peut-être le moment. En tout cas, je n'ai pu m'empêcher de le feuilleter à nouveau, d'en relire quelques passages. Dont celui de La Japonaise.

Claude Monet, La Japonaise (1876), huile sur toile, Musée des Beaux-Arts de Boston.
 

La toile représente Camille Doncieux, la première épouse de Monet, en costume japonais. Je ne connaissais pas ce tableau, et je ne dois pas être le seul, il détonne par rapport à ce que l'on connaît de Monet. Ce qui intrigue Bouillier par dessus tout, c'est le démon au beau milieu du tableau, peint sur le kimono rouge : "Une espèce d'anomalie picturale, à la fois énigmatique et déconcertante : telle était la figure du démon à cet endroit du corps de Camille. Ce que Daniel Arasse appelait un détail - dettaglio. Soit un détail qui, dans l'économie générale d'un tableau, "fait écart et trouble le spectateur par des traits mystérieux, voire incompréhensibles." Détail qui, au sein d'une œuvre, percute le sens qui semble être le sien. L'emmène là où elle n'est pas censée aller. En donne la clé secrète, la clé véritable, celle qui permet de comprendre ce que l'artiste a voulu exprimer. De voir l'image qu'il a cachée dans l'image. Sa bête dans sa jungle."(p. 392)

Et voilà, on n'a pas mis longtemps à pénétrer dans le cœur du sujet. En même temps que l'on retrouvait incidemment Daniel Arasse, avec qui nous avons cheminé autour de Léonard. Grégoire Bouillier fit ici référence à son essai sur le détail (que je n'ai pas lu).

 

J'avais lu Le syndrome de l'Orangerie alors même que je n'avais pas terminé son livre précédent, l'énorme Le cœur ne cède pas, dont j'avais parlé brièvement dans La dame au gant bleu, en mars 2024. Je me cite :

"En août 1985, à Paris, une femme du nom de Marcelle Pichon s’est laissée mourir de faim chez elle pendant quarante-cinq jours en tenant le journal de son agonie. Cadavre découvert seulement dix mois plus tard. Fait divers entendu à la radio par Grégoire Bouillier. Jamais oublié. Et voilà qu'en 2018, le hasard le remet sur la piste de cette femme. Dès lors, d'elle, de Marcelle Pichon, il veut tout savoir, tout comprendre. Ça donne ce monstre littéraire, et puis un site. Même nom, Le coeur ne cède pas. Regardez bien la page d'accueil, vous comprendrez sûrement pourquoi j'ai été si vite fasciné moi aussi." **

Seulement voilà, embarqué sur d'autres pistes, j'ai délaissé cette lecture, me promettant seulement de m'y remettre un jour. Eh bien ce jour est arrivé. Le Klapisch, indirectement, a relancé mon intérêt et je suis à nouveau plongé dans Le coeur ne cède pas. Où j'ai retrouvé une autre mention de Daniel Arasse, une citation épigraphe page 347, extraite du l'essai sur le Détail : "Dieu est dans les détails." Expression qui remonterait à la formule anglaise "God is in the details", attribuée le plus souvent à l'architecte Ludwig Mies Van der Rohe ou à l'historien d'art Aby Warburg. On trouve tout aussi fréquemment la variante "Le diable est dans les détails."

___________________

* Ce n'est pas tout à fait vrai : je m'aperçois a posteriori que j'ai parlé de Deux Moi dans cet article, Another woman, du 31 mars 2022.

** Voir aussi le podcast sur France Culture. 

mercredi 2 juillet 2025

Adoration sous la neige


Il neige.
Sous les flocons la porte
Ouvre enfin au jardin
De plus que le monde.

Yves Bonnefoy, Début et fin de la neige.


Attardons-nous un instant sur cette magnifique miniature des Très Riches Heures du duc de Berry, présente dans le dernier article. Voyons-la dans son entièreté :

 

La notice Wikipedia rapporte que "Des scènes hivernales ont été représentées dans d'autres livres enluminés de l'époque, notamment une miniature dans un manuscrit du Décaméron (vers 1414)[ms 18] et une autre dans un manuscrit du Miroir Historial de Vincent de Beauvais (vers 1410)[ms 19], toutes deux attribuées au Maître de la Cité des dames mais celle des Très Riches Heures reste la plus élaborée. " 

Elle ajoute que "Selon Erwin Panofsky, il s'agit là du « premier paysage de neige de l'histoire de la peinture ». Peint donc entre 1411 et 1416 (inachevé à la mort des trois frères de Limbourg et de leur commanditaire en 1416, le manuscrit est probablement complété, dans certaines miniatures du calendrier, par un peintre anonyme dans les années 1440, puis achevé en 1485-1486 dans son état actuel par le peintre Jean Colombe pour le compte du duc de Savoie).

Un siècle et demi plus tard, Pieter Bruegel représente lui aussi un paysage hivernal, avec cette autre Adoration des mages dite sous la neige, dernière œuvre commentée par Christian Jamet dans Célébration de l'offrande

 

Ce tableau est extraordinaire en ce qu'il relègue tout d'abord la scène de l'Adoration des mages sur le côté gauche. Alors que l’œil du spectateur est naturellement conduit vers le fond, en direction de l'arche ruinée, il faut se dérouter pour apercevoir, sous la toiture percée de l'étable, la Vierge et l'Enfant, deux mages prosternés et le troisième encore en attente. Rien ne les distingue vraiment de la foule alentour, nul présent visible, nulle étoffe luxueuse.

 

"Ce que Bruegel entend représenter, écrit Christian Jamet, c'est la manifestation discrète de la présence de Dieu parmi les hommes, à travers son Fils, dans la réalité quotidienne. [...] Renonçant aux détails exotiques et au faste habituel des représentations de la visite des mages, il accentue, par un décor modeste, l'humanité de l'Enfant Dieu, venu au monde parmi les humbles."

Le tableau est évoqué aussi dans la très riche biographie de Bruegel par Leen Huet (CFC, 2022). Qui précise que ce panneau séduira tellement qu'il sera son tableau le plus copié. Trente-six versions en ont été conservées, dont la plupart de la main de Pieter Bruegel le Jeune. La version donnée dans l'ouvrage  diffère de celle que j'ai insérée plus haut.

 

Elle est plus anodine à mon sens, beaucoup moins saisissante, mais plus lisible aussi, laissant mieux apercevoir le détail dans sa minutie.

 

Ainsi peut-on voir distinctement que Melchior porte la même robe rose à mantelet d'hermine que sur l'Adoration de 1564. Ce qui n'est pas le cas de Balthazar ni de Gaspard. En revanche, celui-ci porte un cadeau muni, semble-t-il, d'une chaînette, qui s'apparente nettement à celui de la National Gallery. Derrière lui, un page noir rappelle l'Adoration de Bosch.

Ce qui rend le tableau vraiment unique, dans la version de 1567 conservée à Winterthur, en Suisse, c'est la chute de neige, le tourbillon des flocons blancs ( Leen Huet parle de "tournoiement impressionniste") qui nous redonne toute la nostalgie de l'enfance, quand nous admirions la chute soudaine, longtemps désirée, de cette neige qui engloutit le paysage, l'assourdit et le transforme en paradis de jeux. Événements de plus en plus rares en nos hivers contemporains. 

Enfance que Bruegel n'oublie jamais : ce mioche qui pousse avec ses bâtons son traîneau sur l'étang glacé, sur la droite du tableau, c'est l'expression même de la joie.


 

lundi 30 juin 2025

Les mauvais bergers

Je réalise la désynchronisation : j'écris dans un appartement cerné par la canicule, volets clos, sur un événement se déroulant à l'autre bout de l'année, dans le renversement des solstices. Cela a-t-il une importance ? cela influe-t-il sur le contenu ? non, certainement, c'était juste une remarque en passant, avant d'entrer dans le vif du sujet. Le vif du sujet ? Certains se posent sans doute la question de ce vif. De l'utilité, aujourd'hui, de passer du temps sur la représentation d'un événement mythique en ce même Orient déchiré aujourd'hui par mille tragédies. Une obscure intuition, qui prolonge en réalité celle de Tarkovski dans Le Sacrifice, me souffle que oui. Peut-être.

Alors poursuivons, en allant voir ce que Robert Delevoy nous dit de l’Épiphanie dans son Bosch de 1960. "L'un des plus subtils poèmes picturaux que l'on puisse saisir dans l'art d'Occident", écrit-il d'emblée. "Formulée en d'autres termes, la pensée est la même que celle qui gère les Noces de Cana : la foi est rassurante, l'effusion religieuse triomphe des forces du Mal."Il  reprend ensuite l'idée que nous avons déjà abordée, à savoir que le triptyque illustre le parallèle entre Épiphanie et Eucharistie. Le détail des présents - le Sacrifice d'Isaac sur la pièce d'orfèvrerie déposée aux pieds de la Vierge, la visite de la reine de Saba sur le mantelet de l'autre roi -, est bien redonné, à l'exception de Gaspard : "très digne, vêtu d'un superbe manteau blanc au col d'épines, il tient dans sa main droite un globe blanc bleuté décoré de figurines en grisaille évoquant une scène d'idolâtrie : l'oiseau qui le surmonte picore une cerise rouge." L'épisode de David recevant un message du général Abner n'est donc pas reconnu, pas plus que le phénix surmontant le globe, et qui symbolise la Résurrection du Christ (il n'est pas sûr qu'il picore une cerise rouge, les commentateurs du musée de Prado parlent simplement d'une graine). Et que dire du fruit tenu dans la main gauche de Gaspard, relié au globe par une chaînette dorée ?  Ne s'agit-il pas d'une fraise, qui était considérée comme une plante du jardin du paradis ? "Elle figure aussi dans de nombreuses représentations de la Nativité, de l'adoration des bergers et de celle des Rois mages, ainsi que dans des portraits de la sainte Famille ; du reste, dans toutes ces œuvres est symboliquement présente l'Incarnation du Sauveur. Les feuilles trilobées du fraisier peuvent aussi renvoyer à la Trinité, et sa petite fleur blanche est interprétée comme une image de l'innocence et de l'humilité." (Lucia Impelluso, Comment regarder la nature et ses symboles, Hazan, 2004, p. 159)


Mais allons voir du côté des autres personnages du tableau. On se rappelle des trognes de Bruegel, et bien, on trouve ici des lascars qui n'ont rien à leur envier. Regardez ceux qui sont perchés sur le toit de l'humble cabane.

 

Que font-ils sur ce toit de chaume, alors qu'un autre grimpe à un arbre pour sans doute les rejoindre ? "Ils épient, ils n'adorent pas", constate Delevoy - et Christian Jamet parle de "mauvais bergers". Notons que celui coiffé d'un bonnet bleu tient sous lui une cornemuse. Instrument de musique que l'on retrouve sur le panneau de droite du Jardin des délices. Mal vue par l’Église pour son rôle dans les danses populaires, sources de débauche et de débordements de toutes sortes, elle était souvent associée au Diable tentateur.  

 

Un autre bougre, d'aspect pas plus sympathique, mate par un trou du mur de torchis, juste derrière la Vierge.

 

Mais le pompon, c'est bien sûr le groupe central qui le décroche, avec cet étrange personnage qui se présente à l'entrée à moitié nu, et qu'on pourrait identifier à un quatrième roi car il porte couronne en forme de bulbe hérissé d'épines. Robert Delevoy y voit le "pauvre lépreux que décrit le Talmud babylonien", le Messie juif que Bosch affuble aussi, selon lui, des attributs de l'Antéchrist (c'est aussi ainsi qu'il est désigné dans le commentaire du Prado). 

 

En tout cas, il tient dans sa main droite la couronne de Balthazar. Christian Jamet remarque que des créatures monstrueuses ornent la robe de Gaspard et de sa petite servante noire, et que le casque que le vieux roi a déposé près de son offrande, écrasant les crapauds de l'hérésie, est décoré également de symboles des désirs terrestres. "Bref, conclut-il, il apparaît que l'acte d'adoration des mages représente aussi pour eux une démarche de conversion."

Le mal rôde. Dans la campagne lumineuse, aucunement hivernale, mais bien estivale avec ses arbres aux denses feuillages, deux troupes de cavaliers semblent se diriger l'une vers l'autre. 

Alors j'ai envie pour conclure à mon tour de revenir à Daniel Arasse, et à son propos sur l'Adoration de Bruegel faisant discrètement référence à celle de Bosch : "Ainsi, par delà l'évolution de la peinture flamande et sous couvert d'une composition à l'italienne, Bruegel fait retour à une source d'inspiration où le Noir, le regard du Noir était porteur de la plus haute spiritualité et attestait la valeur universelle de la foi chrétienne, c'est-à-dire aussi, dans les termes de l'époque, l'universalité de l'humanité des hommes. Comme le souligne Jean Devisse (à moins que ce ne soit Michel Mollat), L'Adoration de Bosch "témoigne, face aux milliers d'autres où s'inscrit la méconnaissance progressive de l'Afrique, qu'une autre voie était ouverte, une chance peut-être que l'Occident n'a pas su saisir". C'était avant. Avant le reste. Avant surtout que le développement de l'esclavage et de la traite des Noirs n'encourage le développement de l'idéologie et du discours raciste qui en justifiaient la pratique."

"Mystérieux Jérôme Bosch", tel est le titre d'un article de Paul-Louis Rossi, dans la revue littéraire en ligne En attendant Nadeau, rendant compte d'un essai de Frédéric Grolleau, Hieronymus : moi, Jérôme Bosch, ou le peintre des enfers (Éditions du Littéraire, 2016). Une année 2016 qui devait être consacrée à Jérôme Bosch dans les Flandres et la Wallonie. "Mais, bouleversement imprévu du destin, écrit Rossi, les cérémonies furent gravement perturbées par une série d’attentats meurtriers venus toucher Bruxelles et Paris au début de cette année. Si bien qu’une partie des manifestations a été suspendus, et je n’ose le dire, que l’univers tragique de Bosch n’était pas fatalement désirable en cet instant de l’histoire. La connaissance, la nature et la physionomie du peintre ont grandement souffert de ces événements." Malgré le portrait du peintre que tente d'écrire Frédéric Grolleau, Rossi note encore qu'il "faut admettre que Bosch, issu d’une famille active, appartenant à cette confrérie de Notre-Dame, fait preuve, dans l’histoire qui lui est attribuée, d’une singulière discrétion, pour ne pas dire de marginalité. On ne distingue pratiquement aucun écrit, aucune déclaration, aucune prétention affichée dans sa carrière. " Il ajoute que "dans le « Triptyque de l’Épiphanie » par exemple, il est désigné à la place de Saint-Joseph, seul et désespéré, loin de l’arrivée des Roi Mages et des représentants du clergé et des notables agenouillés."

Cette scène est sur le panneau de gauche. Bosch a représenté ici Peeter Scheyve, le donateur, et saint Pierre. J'avoue n'avoir pas reconnu Joseph dans le personnage du fond, qui me faisait plutôt penser à une religieuse. Et il est vrai que Joseph est absent du panneau central. La notice Wikipedia précise qu'il fait sécher des vêtements près d'un feu, renvoyant en note à Suzanne Laemers, « Hieronymus Bosch and the Tradition of the Early Netherlandish Triptych », in Visual Culture: Images and Interpretations, Norman Bryson, Michael Ann Holly, et Keith Moxey, Hanovre et Londres : Wesleyan University Press, 1994, p. 79. 

Étrange scène : Joseph ne me semble pas désespéré, comme l'écrit Rossi, et sa position me fait plutôt penser à celle des paysans du mois de février dans la miniature des frères de Limbourg, dans Les Très Riches Heures du duc de Berry.

 

Les deux personnages de gauche se réchauffent devant le feu ardent et les artistes montrent leurs sexes avec le plus grand naturel. Ce qui résonne aussi avec la petite scène située juste au-dessus de Joseph, où l'on voit un homme,  de trois quarts dos, "qui, nous dit la notice Wikipedia, semble exhiber son sexe à l'attention d'une dame qui parait offusquée".

 

Que signifie aussi ce regard de Joseph tourné vers saint Pierre, ou bien nous, les spectateurs ? 

On ne peut qu'être d'accord avec la dernière phrase de l'article de Paul-Louis Rossi : "Ce qui nous étonne, c’est l’énorme mystère qui persiste dans la distribution et l’analyse des scènes picturales et des notices qui entourent le peintre nommé Hieronymus Bosch."


vendredi 27 juin 2025

Reine de Saba et Bible des pauvres

Déniché dans la bibliothèque un autre livre sur les Rois mages, acheté 1,50 euro à Noz il y a plusieurs années, pas lu encore. Il faisait partie de ces livres qui attendent patiemment leur heure (quoi de plus patient qu'un livre ?). Il s'agit de Célébration de l'Offrande, paru en 2001 chez Albin Michel, dans la collection Célébrations dirigée par Éliane Gondinet-Wallstein, dont le principe est de réunir autour d'un thème le texte d'un écrivain contemporain et le court essai d'un historien ou d'un critique d'art. Ici, c'est Michel Tournier qui s'y collait (il avait déjà écrit Gaspard, Melchior § Balthazar en 1982), et l'universitaire Christian Jamet qui, dans Regards de peintres sur les Rois mages, présente dix œuvres inspirées par le thème. Et parmi elles, nous retrouvons l’Épiphanie de Jérôme Bosch, dont Gaspard fait d'ailleurs, comme par hasard, la couverture.

 

Ceci nous invite à entrer un peu plus dans le détail de ce tableau fascinant. L'intention du peintre, selon Christian Jamet, est d'établir un parallèle entre Épiphanie et Eucharistie (le triptyque refermé montre la messe de Saint Grégoire).

La sculpture en or, déposée par Melchior aux pieds de la Vierge, représente le sacrifice d'Isaac, préfiguration de celui de Jésus. Isaac, portant devant l'autel le bois du sacrifice, est menacé par le glaive de son père Abraham, arrêté par la main d'un ange. Le bélier sur la droite sera sacrifié à sa place. 


Autre scène de l'Ancien Testament  : le luxueux gorgeret de Balthazar montre la visite de la reine de Saba, apportant des présents, agenouillée devant Salomon. 

 

La signification du troisième cadeau, celui de Gaspard, a donné lieu à beaucoup d'interprétations. Sur la boule d'argent, un homme agenouillé devant un roi sur son trône présente un objet rectangulaire, qu'on a souvent identifié comme un livre.

 

La Bible des pauvres, un ouvrage très répandu au temps de Bosch, donne la solution : lorsque David succède à Saül, le général Abner prend le parti de Ish-Bosheth, le fils de Saül, contre David. Mais après une accusation de trahison, il se rallie à David à qui il envoie ses messagers. L'objet rectangulaire serait donc une lettre. Cela préfigure, comme l'épisode de la reine de Saba, la soumission des rois étrangers au Christ.  

Biblia pauperum  hollandaise,
exemplaire xylographique de la seconde moitié du XVe siècle,
Paris, B.n.F., cabinet des Estampes.

Et puis voilà que je m'avise que je possède aussi une monographie sur Bosch, paru chez Skira en 1960, année de ma naissance, acheté à Aigurande lors d'une brocante en août 2000, et écrite par un certain Robert L. Delevoy. Surprise : la page de titre représente précisément le cadeau de Gaspard... 


 Que nous dit Robert L. Delevoy ? On le verra au prochain épisode.

jeudi 26 juin 2025

Gaspard l'Africain

Bruegel n'est pas le premier à représenter un roi mage noir. L'usage en est répandu depuis plusieurs décennies. On trouvait aussi des figures noires dans les Adorations des Mages, faisant partie du cortège en tant qu'esclaves. Qu'est-ce qui a donc poussé les peintres à leur donner un rang supérieur ? A cela Daniel Arasse donne une explication qu'il définit lui-même comme géopolitique : la prise de Constantinople par les Turcs en 1456, coupant ainsi la route vers Jérusalem, oblige les pèlerins à contourner l'obstacle et à passer par le sud. "On voit alors se réactiver, poursuit l'historien, le mythe ancien de ce royaume chrétien situé en Afrique, au sud de l’Égypte, d'une richesse immense, habité par des Noirs et gouvernés par un mystérieux Prêtre Jean. En 1459-1460, un imposteur parvient même, en se faisant passer pour l'ambassadeur du Prêtre Jean, à se faire recevoir par le pape Pie II, le duc de Milan et le roi de France à Bourges." Le mythe deviendra réalité quand l'émissaire du roi Jean II du Portugal entrera en contact en 1494 avec le royaume d’Éthiopie, chrétien et noir. Mais la peinture, dit encore Daniel Arasse, n'a pas attendu l'histoire et l'idée du mage Noir, l'Africain Gaspard, a un succès fou, et le premier roi noir italien est peint par Mantegna, pour la chapelle privée de la marquise de Mantoue.

Andrea Mantegna, Adoration des Mages, entre 1495 et 1505, Getty Museum, Los Angeles.
 

Après avoir observé nombre de représentations de ce temps-là, Daniel Arasse dégage trois caractéristiques du Gaspard noir pictural. Il est tout d'abord vêtu avec un luxe encore plus ostentatoire que les deux autres mages. Ensuite, il est le plus jeune (l'usage s'était banalisé de faire correspondre les mages "aux trois âges de la vie".) Enfin, troisième élément, Gaspard se situe le plus souvent à l'écart, "parfois de peu, parfois de beaucoup : tantôt isolé, seul, sur son volet de triptyque, tantôt séparé du groupe principal par un pilier, une colonne, un arbre, tantôt même arrivant tout juste, en courant ou encore à cheval, alors que les deux autres sont déjà là, en train de faire leurs offrandes." 

A ce point de vue, Bruegel n'invente donc rien : avec son jeune roi noir un peu à l'écart, "il adopte  même la formule la plus courante". Pourtant, il ne faut pas s'y tromper, Bruegel n'est pas un simple suiveur et Daniel Arasse prend soin de préciser que "s'il reprend en effet la tradition, Bruegel l'articule de façon très singulière car son Gaspard est le seul à ne pas être caricaturé." Et en cela, il retrouve l'esprit de Jérôme Bosch dont L'Adoration, aujourd'hui au Musée du Prado, à Madrid, se trouvait toujours, jusqu'en 1568, dans les environs de Bruxelles.


Jérôme Bosch, Épiphanie, v. 1495, Musée du Prado, Madrid.

A l'écart sur la gauche, debout comme le Gaspard de Bruegel, le mage noir est déjà là d'une prestance exceptionnelle. La référence à Bosch ne fait pas de doute pour Daniel Arasse : "Bruegel ne se contente pas en effet d'y reprendre la couleur de l'habit ; il indique explicitement son hommage en confiant à son roi noir un cadeau qui constitue une citation luxueuse des inventions de Bosch, un cadeau encore plus "à la manière de Bosch" qu'il ne l'était chez Bosch lui-même et, détail sans doute significatif, il signe son tableau sous la majestueuse silhouette, comme l'avait fait Bosch plus d'un demi-siècle plus tôt."



mardi 24 juin 2025

Un oeil noir

 


De Daniel Arasse, je ne possède pas que le très bel ouvrage sur Léonard, non, j'ai aussi un volume un peu défraîchi, assurément trouvé sur une brocante (mais quand ? je ne sais pas, j'ai négligé, c'est rare, d'y apposer une date et un lieu), un folio essais titré On n'y voit rien, sous-titré Descriptions. Six courtes fictions narratives centrées chacune sur un tableau différent. J'ai dû lire la première, Le regard de l'escargot, mais sans doute pas les autres. Comme le volume traînait dans une pile de livres encore en instance de rangement, j'y ai jeté un coup d’œil par curiosité, et ne voilà-t-il pas que je tombe sur L'Adoration des Mages. Au cœur de la seconde fiction, Un œil noir. Oui, mais il ne s'agit pas de L'Adoration de Léonard, mais de celle de Bruegel (1564). Bon, tant pis, je décide de lire quand même. Je n'ai pas vraiment à me forcer : Daniel Arasse sait vous embarquer à la découverte d'un tableau comme un artisan rusé du polar vous entraîne sur les sentiers sinueux d'une enquête criminelle.

Donc, Bruegel, avec ce tableau visible à la National Gallery de Londres (et n'hésitez pas à aller sur la page du musée, on peut zoomer à loisir sur les détails).

 

Le narrateur rappelle l'événement considérable que constitue, pour tout chrétien, l’Épiphanie, "qui signe, dit-il, la reconnaissance universelle de l'Incarnation, de la divinité humaine du Christ." Le thème est donc souvent traité avec somptuosité (on l'a bien vu avec Botticelli, Lippi et même Léonard), mais Bruegel "prenait manifestement et résolument le contre-pied de cette tradition pour en faire une mise en scène un peu gauche et grossière, un spectacle de village."

On ne peut pas lui donner tort. Exit le cortège fastueux, la cavalerie richement chamarrée, des soldats certes, mais à gueule de soudards (il note l'inquiétante présence du soldat casqué et armé qui se penche, à l'aplomb exact de l'Enfant Jésus - sa hallebarde en forme de croix, occupant la même place que les deux arbres de Léonard, préfigure déjà la Passion). Quant aux rois, seule leur vêture les désigne comme tels : "Avec leurs cheveux longs, sales, mal peignés, ils ont plutôt l'air de vieux hippies avachis, de babas édentés. Ils paraissent ce qu'ils sont : des vieillards gâteux."


 

Au milieu du tableau, Marie et Jésus forment a contrario "une cellule de calme et de douceur". Mais la fin est déjà là, note-t-il, le lange blanc de l'enfant "l'enveloppe comme le fera le linceul - et, il en est convaincu maintenant, les armes des soldats qui, dans le coin supérieur gauche, ferment la composition en se découpant sur le ciel annoncent déjà celles qui accompagneront le Christ, après l'arrestation au mont des Oliviers, tout au long de la Passion."

 

Arasse dit qu'il en était là de ses rêveries quand, sans s'y attendre, il a vu le reste du tableau, à savoir sa partie droite, avec le troisième roi, Gaspard, le roi noir, debout, à la différence de Melchior et Balthazar. Et Bruegel lui accorde une noblesse qu'il dénie aux deux autres : "Soulignant sa verticalité, son admirable et simple manteau, vraisemblablement en peau retournée, lui donne cette tranquille grandeur qui caractérise les rois (en peinture)." Et son cadeau surpasse celui des deux cacochymes : "c'est un bateau d'or, une sorte de caravelle miniature, ses canons perçant à travers ses flancs, dont la large panse porte, au lieu des ponts et des mâts, un coquillage marin de matière rare, surmonté d'une petite sphère armillaire en or, et le pourtour orné de pierres précieuses tandis que, de son orifice, surgit le buste d'un personnage qui tient à bout de bras une autre, grosse, pierre précieuse (une émeraude ?) sertie d'or."

 

Étrange et magnifique présent, souligne-t-il, qui tient aussi du souvenir de voyage et qui va donc bien à Gaspard, "roi noir venu d'Afrique, le seul Noir de toute la foule". Et il se demande pourquoi il a mis tant de temps à voir ce Gaspard qui, maintenant, lui crève les yeux. Il y a plusieurs raisons, je ne les détaille pas toutes, dont celle-ci, qui est que Gaspard est noir, oui, et il s'en explique : "C'est curieux comme on voit mal les Noirs en peinture ; souvent, leur couleur fait une sorte de "trou noir" dont la perception se perd au profit des couleurs qui l'entourent. En fait, pour faire voir un Noir en peinture, il faut le faire ressortir par un fond clair et ce n'est pas ce qu'a fait Bruegel." 

Alors il s'approche pour regarder au plus près ce visage noir et il en est assez surpris : "Non seulement, avec Marie et l'Enfant, c'est la seule figure à ne pas être traité sur le mode comique mais, calme, attendant son tour, il est beau, les traits fins, le regard perplexe, d'une interrogative douceur." Et il note que sa dignité est d'autant plus grande que Bruegel a placé, juste derrière Gaspard, deux trognes "franchement peintes pour faire rire".

 

La veille, j'avais vu sur France 2 le beau documentaire d'Alain Mabanckou et Aurélia Perreau, Noirs en France. Et j'avais collé sur mon cahier-agenda une photo d'Ibrahima, lycéen, l'un des six témoins du film (ce n'était pas celle-ci au dessous). Et c'était une résonance soudaine qui se donnait à entendre avec le tableau de Bruegel. 

 

Les trognes de l'arrière-plan perdurent aussi, hélas : il n'y a qu'à lire les commentaires sur YouTube au sujet du film. La bêtise crasse s'y donne libre cours, comme il est d'usage la plupart du temps sur les réseaux sociaux, qu'il vaut mieux éviter pour ne pas désespérer de l'humanité.

Sur cette figure du Noir dans L'Adoration des Mages, on en verra bientôt un autre exemple, avec Jérôme Bosch.

vendredi 20 juin 2025

Bestialissima pazzia

Je possède depuis longtemps dans ma bibliothèque le très beau livre de Daniel Arasse sur Léonard de Vinci (Hazan, 1997). C'est un volcan endormi dans le cratère duquel je ne suis jamais descendu que pour de timides explorations. La survenue de L'Adoration des Mages m'a conduit naturellement à en tenter une nouvelle. Et il y eut une première surprise : la couverture de l'ouvrage représentait rien moins qu'un détail du fameux tableau, ce dont je ne m'étais jamais avisé.

 

Si Daniel Arasse choisit ce tableau inachevé comme couverture, au lieu de la plus attendue Joconde, ou de la Vierge aux rochers par exemple, c'est bien qu'il le tient pour un chef d’œuvre. Il montre tout d'abord qu'il doit beaucoup à L'Adoration des Mages que Botticelli réalise quelques années plus tôt entre 1472 et 1475 pour la chapelle de Guasparre del Lama à Santa Maria Novella. Le peintre innovait déjà en supprimant l'habituel cortège des Mages, et en disposant la sainte Famille au centre de la composition, les Mages et leurs suivants se répartissant de chaque côté de façon plus ou moins symétrique : "Il transforme ainsi, écrit Arasse, ce qui était une scène à dominante narrative en une image cérémonielle et liturgique : les Mages rendent hommage, en Jésus, au corps incarné du Fils."(p. 350)

 

De Botticelli, Léonard reprend "la disposition centralisée de l'ensemble, la pose agenouillée des trois Mages et l'idée des grandioses ruines antiques situées sur la gauche qui, tout en étant une figure connue de l'effondrement de la religion païenne, étaient encore peu utilisées dans le thème des Mages." Cependant, il ne faut pas s'y tromper, Léonard ne se rapproche de Botticelli que pour s'en différencier radicalement. Il supprime entièrement la "cabane" de Marie et lui substitue ces deux arbres si importants dans le film de Tarkovski. Et alors que Botticelli place la Vierge et l'Enfant dans la partie supérieure, nettement au-dessus du point de fuite, les désignant clairement comme visée du culte, Léonard les installe au contraire dans la partie basse, idée qu'il a dès l'origine, comme en atteste l'esquisse préparatoire de 1481.

Pointe de plomb reprise à la plume et à l’encre brune (Département des Arts graphiques, Musée du Louvre)
 

"Ce choix, explique Daniel Arasse, lui permettait de développer le fond à travers toute la surface et lui ouvrait la possibilité d'enrichissements et d'innovations considérables." Traditionnellement, le fond permettait de présenter le cortège des Mages, et c'est bien ainsi que Filippino Lippi (qui reprendra à la demande des moines, en 1496, le projet abandonné par Léonard) le traitera, même s'il reprend pour l'essentiel sa composition.

 

Rien de tel donc chez Vinci. Dans le fond, à droite, a lieu un combat de cavaliers. Dont le sens est discuté. On y a vu parfois, dit Arasse, une transformation d'un combat contre le Dragon qu'il aurait imaginé dans L'Adoration des Bergers, à laquelle il travaillait en 1478-1480, mais aussi une variante du motif traditionnel de la lutte entre des chevaux du cortège, ou bien encore une allusion au combat entre membres du cortège et sbires d'Hérode, thème pris dans un évangile apocryphe arménien. Toujours est-il que, selon lui, le groupe possède un sens manifeste : "il exprime la violence guerrière et marque la première apparition du thème très léonardien de la bestialissima pazzia, de cette folie très bestiale qui, dans le combat, assimile l'homme à la bête." Thème qui sera le motif central de La Bataille d'Anghiari, entreprise plus de vingt ans plus tard.

L'Adoration des Mages, Léonard de Vinci (détail)
 

"Dans son ensemble, entre le fond et le premier plan, poursuit Daniel Arasse, c'est une cohérence autre que narrative que le tableau instaure : le fond est le lieu de l'aveuglement rapport à l'évidence glorieuse de l’Épiphanie, message de rédemption, de paix et d'amour."

Restons-en là pour aujourd'hui. Je ne peux me défendre cependant de percevoir comme un écho à la résonance déjà aperçue entre cette investigation sur des œuvres du passé et l'alarmante situation contemporaine du Proche-Orient. A cette guerre de bombardements entre Israël et l'Iran, deux régimes criminels autour duquel l'ubuesque Trump vient planer comme un vautour. 

Cortège des Mages, mosaïque (VIe s.), Saint-Apollinaire-le-Neuf, Ravenne
 

Dans cette mosaïque de Ravenne, les mages ne sont pas encore figurés comme des rois. Ils portent tous les trois un même bonnet phrygien et un costume persan identique, manteau court agrafé sur le côté droit, tunique relevée à hauteur des cuisses pour faciliter le voyage à dos de chameau, pantalons collants descendant jusqu'aux pieds. Deux des adorateurs présentent leur offrande les mains cachées par leur manteau en signe de vénération. Rite persan. Autrement dit, si l'on transpose en termes actuels, c'est l'Iran qui vient honorer un petit Palestinien né dans une étable. Au retour, averti par un songe, ils ne repasseront pas chez Hérode le sanguinaire. 

Qui est Hérode aujourd'hui ? 

Dans le ciel ce n'est plus l'étoile qui brille mais la traînée mortifère des missiles.