lundi 3 avril 2017

# 79/313 - Sans dessus dessous

« Ainsi, monsieur Maston, vous prétendez que jamais femme n’eût été capable de faire progresser les sciences mathématiques ou expérimentales ?
— À mon extrême regret, j’y suis obligé, mistress Scorbitt, répondit J.-T. Maston. Qu’il y ait eu ou qu’il y ait quelques remarquables mathématiciennes, et particulièrement en Russie, j’en conviens très volontiers. Mais, étant donnée sa conformation cérébrale, il n’est pas de femme qui puisse devenir une Archimède et encore moins une Newton."

Jules Verne, Sans dessus dessous, Hetzel, 1889

Incipit de ce roman d'anticipation peu connu, où l'on retrouve certains protagonistes du célèbre De la Terre à la Lune. Ne croirait-on pas entendre ce député polonais au  Parlement européen qui récemment affirmait : «Bien sûr que les femmes doivent être moins bien payées, parce qu'elles sont plus faibles, elles sont plus petites, moins intelligentes.» ? Argument suprême : aucune femme dans le top 100 des joueurs d'échecs. Comme si le jeu d 'échecs (que j'adore, ceci dit) était le modèle absolu de l'Intelligence (on sait bien qu'il n'en est rien, que le jeu mobilise une intelligence bien spécifique qui ne se transfère pas spécialement sur d'autres domaines, autrement dit on peut exceller aux échecs et être par ailleurs un parfait crétin).

Mais ce n'est pas vraiment pour parler de sexisme que j'entame avec Jules Verne. Non, comme j'avais bien investigué autour du Sphinx des glaces, je me suis penché sur cet autre roman déniché lors de ma dernière sortie à Noz, ma caverne d'Ali Baba préférée. Édité ici dans la belle collection Actes Sud/Ville de Nantes, allait-il se laisser entraîner lui aussi dans les rets de l'attracteur étrange ?


La réponse vint rapidement. Le lendemain, samedi 25 mars, je me rends donc au marché, découvre le chieur de Saint-Martial, et reviens nanti de quelques provisions de bouche et du dernier numéro de Philosophie magazine. Or, dans la rubrique livres, celle que je consulte souvent en premier, je trouve la chronique de Philippe Garnier avec un titre identique à une lettre près à celui de Jules Verne :


Il faut encore une fois aller plus loin que cette première coïncidence. De quoi nous entretient cette chronique ? De l'épisode des "paroles gelées", au terme d'une longue navigation de Panurge et Pantagruel vers la mer glaciale.
Or Sans dessus dessous commence avec la mise en vente des terres arctiques, au-delà du quatre-vingt-quatrième parallèle, qu'aucun explorateur de l'époque n'avait encore dépassé. La société acquéreuse, les Américains du Gun Club de Baltimore, une association d'artilleurs, espère pouvoir exploiter les houillères présumées des régions polaires en redressant l'axe de la Terre. Grâce aux ingénieux calculs du mathématicien J.-T. Maston, le macho de l'incipit, qui pense obtenir ce résultat avec un extraordinaire coup de canon, tiré d'un lieu secret.

J'ai évoqué mon lascar au froc baissé de Saint-Martial. Lui aussi entre dans la danse, car je l'avais rapproché, rappelez-vous, de la sculpture blésoise de l'article de Robin Plackert. Celui-ci commençait précisément par une citation de Rabelais :

"Au sixième iour subsequent Pantagruel feut de retour: en l'heure que par eaue de Bloys estoit arrivé Triboullet. Panurge à sa venue luy donna une vessie de porc bien enflée, & resonante à cause des poys qui dedans estoient: plus une espée de boys bien dorée: plus une petite gibbessière faicte d'une coque de Tortue: plus une bouteille clissée pleine de vin Breton: & un quarteron de pommes Blandureau."
Tiers-Livre, chapitre XLV

Nous retrouvons donc Panurge et Pantagruel, avec ce curieux personnage de Triboullet, venu par eau de Blois. Pourquoi vient-il de Blois ? C'est Claude Gaignebet, écrit Plackert, qui nous donne la réponse dans son maître-livre : " Les tailleurs de pierre du château de Blois à la Renaissance savent encore traduire en image le calembour du De Petitu : "Blesensis" (de Blois) suggère à la fois Blaise et le souffle. Ils honorent leur saint patron en multipliant, sur les corbeaux, les retombées et les modillons (comme ici), le péteur." (A plus haut sens -Esoterisme spirituel et charnel de Rabelais, Maisonneuve et Larose, 1986,Tome I, p. 66)

Saint Blaise, en effet, est le saint protecteur des maux de gorge. Évêque d'Arménie, il aurait sauvé de la mort un enfant qui allait mourir étranglé par une arête de poisson. Il est fêté le 3 février, or c'est précisément ce jour-ci que Rabelais choisit pour la naissance de Gargantua, "fils de Grandgousier et de Gargamelle, héros de la gorge, du grand manger carnavalesque et de la parole inspirée." (Philippe Walter, Mythologie  chrétienne, Imago, 2005, p. 25). Ce jour vient clore aussi la bataille des vents qui débute le 25 janvier à la Saint-Paul, le vainqueur à cette date soufflera toute l'année.

Ces vents sont bien sûr aussi les pets, le souffle buccal se conjugue au souffle anal. Notre gaillard de Saint-Martial est un émule de Gargantua :

Revenons, dit Grandgousier, à notre propos.
- Lequel ? dit Gargantua. Chier ?
- Non, dit Grandgousier, mais torcher le cul.
- Mais, dit Gargantua, voulez-vous me payer un tonnelet de vin Breton si je vous réduis à quia  à ce propos ?
- Oui, bien sûr, dit Grandgousier.
- Il n’est, dit Gargantua, pas besoin de se torcher le cul s’il n’y a pas de saleté. Or la saleté n’y peut être si on n’a pas chié. Il nous faut donc chier avant de se torcher le cul.
— Oh ! dit Grandgousier, que tu as de bon sens, mon garçonnet ! Un de ces jours, je te ferai passer docteur en gai savoir, par Dieu ! car tu as plus de raison que d’années. Poursuis donc ce propos torcheculatif, je t’en prie.

Et je me demande in fine si notre Gun Club vernien avec son artillerie prodigieuse n'est pas au fond une version plus moderne de l'ancienne Société secrète des Francs Péteurs, authentique celle-ci, fondée à Caen en 1742,  laquelle publie l’année suivante un petit opuscule de trente-quatre pages, “Zéphyr-Artillerie ou La Société des Francs-Péteurs."(réédité par les éditions Cactus). Les culs péteurs canonnent ici du haut des tours.

La gravure anonyme qui accompagne l'ouvrage servait de frontispice à "L'art de péter", de Pierre-Thomas-Nicolas Hurtaut, publié en 1751 (cf. Gallica)

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