Il faut lever la tête. Il faut s'arrêter un moment.
Si je n'avais pas levé la tête un certain samedi de mars, si je ne m'étais pas attardé quelques instants, je n'aurais point vu le chieur de Saint-Martial.
Le jeu des coïncidences nous conduisit à Rabelais, à son fol Triboullet mais aussi à ce roman presque inconnu de Jules Verne, Sans dessus dessous. Et puis à la ligne Cuzion-Gargilesse, à Arsène Lupin et saint Pantaléon.
Revenons sur cette ligne orthogonale à l'alignement Cuzion-Gargilesse.
J'avais noté la présence sur cet axe du hameau du Trimoulet, à une lettre près, disais-je, le Triboullet rabelaisien. Il ne faudrait pas croire maintenant que quelqu'un a sciemment dissimulé le fou derrière ce nom de Trimoulet qui est une forme occitane du tremble (latin, tremulus), certainement plus ancienne que le Triboulet dont s'inspire Rabelais, mort vers 1537, et qui avait été le fou de cour de Louis XII puis de François 1er. Je ne crois pas du tout à une hypothèse de type complotiste, qui donnerait à un groupe ésotérique quel qu'il soit pouvoir de nomination sur le monde selon des desseins secrets.
L'axe recèle une autre curiosité : passé Eguzon, il va rencontrer un autre lieu-dit la Patraque. Stéphane Gendron, notre étymologiste préféré, est muet sur le mot. Chacun connaît bien l'adjectif : être patraque, c'est être affaibli, en mauvaise santé, soit dit vulgairement, être mal foutu. Mais avant d'être adjectif, patraque est un substantif, vieilli, dit le Cnrtl : en effet on ne l'emploie plus du tout, mais on peut encore le lire dans Jules Verne, et précisément dans Sans dessus dessous, où il a même une certaine importance:
Il fallait entendre ces gamins d'Amérique, qui en eussent remontré aux gavroches parisiens !L'homme qui est ainsi brocardé n'est autre que le mathématicien J.-T. Maston, on l'a vu, misogyne de première, qui avait oublié trois zéros dans ses calculs balistiques ("son canon n'avait pas produit sur le sphéroïde terrestre plus d'effet qu'un simple pétard de la Saint-Jean"). La patraque désigne - le contexte est par ailleurs très clair - "une machine vétuste ou de mauvaise qualité", et plus particulièrement "une vieille horloge ou vieille montre, bruyante et peu fiable" (Cnrtl).
"Eh ! va donc, redresseur d'axe !
- Eh ! va donc, rafistoleur d'horloges !
- Eh ! va donc, rhabilleur de patraques ! (p. 125)
"Voici quel était l'un des couplets les plus applaudis :La Terre est notre vieille patraque. Encore une fois, la présence de ce mot sur l'axe du Trimoulet ne ressort pas à l'évidence d'une volonté ésotérique, ce serait ridicule, mais en revanche cela prend sens dans le contexte précis de mon enquête personnelle. Le Trimoulet et la Patraque sont corrélés à l'événement princeps du chieur de Saint-Martial, synchronisé avec Rabelais et Verne, sur un mode similaire aux corrélations entre particules quantiques intriquées : "La théorie quantique, écrit Nicolas Gisin*, prédit, et beaucoup d'expériences ont confirmé, que la nature est capable de produire des corrélations entre deux événements distants qui ne s'expliquent ni par une influence d'un événement sur l'autre, ni par une cause locale commune."
Pour modifier notre patraque,
Dont l'ancien axe se détraque,
Ils ont fait un canon qu'on braque,
Afin de mettre tout en vrac !
C'est bien pour vous flanquer le trac !
Ordre est donné pour qu'on les traque,
Ces trois imbéciles ! Mais... crac !
Le coup est parti... Rien ne craque !
Vive notre vieille patraque !"
Pour conclure, une dernière coïncidence portant sur l'idée même de réseau, en lien avec le tremble à la racine du Trimoulet. Elle m'est donnée par Florence Trocmé, qui dans son Flotoir du 7 avril, consacre à l'arbre le paragraphe suivant, qui se passe de commentaires :
Le tremble
Réseau encore ! « Le tremble. Il doit son nom à ses feuilles qui réagissent au moindre souffle d’air. En raison de la forme particulière de leur pétiole, elles bougent en exposant en alternance leur face supérieure et inférieure à la lumière. Il en résulte qu’elles peuvent réaliser la photosynthèse avec leurs deux faces, à la différence des autres espèces où la face inférieure est réservée à la respiration. Les trembles peuvent ainsi produire plus d’énergie et même croître encore plus vite que les bouleaux. En matière de lutte contre les amateurs de jeunes pousses tendres, ils suivent une tout autre stratégie qui mise cette fois sur l’opiniâtreté et la quantité. Ils peuvent être broutés et encore broutés des années de suite par des chevreuils ou des bovins, leur système racinaire n’en continue pas moins de lentement s’étendre. Il en émerge des centaines de rejets qui au fil du temps forment de véritables buissons. Un seul arbre peut ainsi s’étendre sur plusieurs hectares, parfois même beaucoup plus, dans certains cas extrêmes. La Fishlake National Forest, dans l’État nord-américain de l’Utah, héberge ainsi un faux tremble de plus de 40 000 troncs qui s’étend aujourd’hui sur environ 43 hectares pour un âge estimé à plusieurs milliers d’années » (in Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres »
Peter Wohlleben qui pose aussi cette fascinante question : « Nous savons désormais que les arbres communiquent olfactivement, visuellement et électriquement (par l’intermédiaire de sortes de cellules nerveuses situées aux extrémités des racines). Mais qu’en est-il de l’émission de sons, donc de l’ouïe et de la parole ? »
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* Nicolas Gisin, L'Impensable Hasard, Non-localité, téléportation et autres merveilles quantiques, Odile Jacob Sciences, 2012, p. 79.
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