lundi 13 novembre 2017

# 271/313 - C'est donc ça la guerre ?

05/11 - Je ne cesse de tourner autour de Pierre Loti et d'Alain-Fournier, et voici qu'en effectuant un tour de veille sur les douze blogs de mon Netvibes alluvionnaire, débarquant sur Feu sur le quartier general, le blog de Jérôme Leroy (qui m'avait déjà fourni en février une excellente illustration de la cohérence du monde), je découvre au-dessous des vols de grue annonçant la fin cruelle de l'été indien le court texte suivant :


La recherche de renseignements sur Alain-Fournier  me conduisit à l'autre bout de l'échiquier politique vers un article de Anne-Sophie Yoo dans le Valeurs actuelles du 4 décembre 2013. On fêtait alors les cent ans de l'auteur. Ici, on dépeint surtout l'artiste en militaire.
J'ai la bonne surprise d'y retrouver cité le maître de René Pècherat, le peintre André Lhote :
"Le peintre cubiste André Lhote, rattrapé par les mêmes obligations, s’étonne du sérieux qu’Alain-Fournier apporte « dans l’accomplissement de ses devoirs de soldat en temps de paix ». Ce qui le frappe plus encore, c’est le « contenu poétique de ces marches et manœuvres » auxquelles s’adonne le jeune officier, sillonnant une France dont il savoure la beauté des soirs aux foyers tranquilles et rassasiés. « Ces départs de la nuit, comme ceux du lever du jour, me donnent une émotion très mystérieuse. Il me semble à ces heures-là que quelque chose d’inconnu, je ne sais quel monde mystique, devient sensible au cœur. »
Le jeune René Pècherat, qui dans son maquis brennou éprouve des sentiments très proches :
"Après le dernier message, vers 22 h30, commençait pour moi mes rondes de nuit, la ronde des bruits nocturnes, bruissements des feuillages, les cris des oiseaux du soir, l'engoulevent, la chevêche, l'effraie ou la hulotte, quelque aboiement, dans le ciel un ronronnement régulier, sans doute un Lysander, parfois un grondement très lointain transmis par le sol, ou une vague de bombardiers en haute altitude. La nuit est à moi, heures merveilleuses d'insouciance lucide, qui pourrait me ravir ce trésor ? Paysage admirable, splendeur terrestre ! C'est donc ça la guerre ?"

"C’est une France champêtre, à la fois proche et lointaine, comme surgie d’une allée cavalière du Dominique de Fromentin, “le monde entier”, qui va bientôt disparaître à l’image du domaine mystérieux du Grand Meaulnes qui tombe en ruine et qui, surtout, ne rend plus ses chemins… D’où cette inquiétude récurrente chez Alain-Fournier : débusquer à tout prix le « passage dont il est question dans les livres, l’ancien chemin obstrué, celui dont le prince harassé de fatigue n’a pas trouvé l’entrée ». Un passage, plus exactement un sauf-conduit, pour retrouver, avant qu’il ne soit trop tard, le domaine des Sablonnières où a été entrevue la jeune fille aérienne, incarnation parfaite d’Yvonne de Quiévrecourt, apparue le jour de l’Ascension 1905, au sortir du Grand Palais, et qui a occupé ses pensées avec la foi et la patience des saints durant sept longues années. En vain…" [C'est moi qui souligne]
N'est-ce pas la Belle au Bois dormant qui se donne à deviner encore ici, avec ce passage obstrué que le prince ne parvient pas à forcer ?
Dans son Bréviaire de littérature à l'usage des vivants, Pierre Bergounioux évoque aussi ce chemin que Meaulnes ne parvient pas à retrouver et qui, lorsqu'il s'ouvre enfin, ce n'est que sur un monde où tout a changé.
"Avec une pénétration qui rappelle Rimbaud, Alain-Fournier a saisi la rencontre des contraires, l'intrusion de l'ailleurs, du mouvement, de la modernité dans l'âge de lenteur qui s'attarde dans la province de la fin du XIXe siècle. Les personnages hésitent entre l'enfance mal révolue et l'âge adulte, le village et les lointains - la capitale, l'étranger, le rêve et la réalité. Il a eu comme Charles Péguy (1873-1914), le pressentiment que la catastrophe était imminente, les heures suspendues, un peu miraculeuses, qu'ils vivaient, tout près de finir. L'urgence où il écrit se répercute dans le récit, tendu entre l'apparition d'Augustin Meaulnes, un soir de novembre - "le premier jour d'automne qui fît songer à l'hiver" -, et son retour, par un beau matin de septembre, qui prélude à sa disparition définitive, sa petite fille serrée dans son manteau."
Sur l'année 1913, je signalerai pour finir le texte de ma Fiction fondée sur cette année précise, cette fiction brève du dimanche datée du 19 mai 1913, où il est fait allusion à la brève rencontre de l'écrivain avec Yvonne de Quiévrecourt devenue Madame Amédée Brochet, dans un jardin public de Rochefort-sur-Mer.


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