jeudi 16 novembre 2017

# 274/313 - La petite femelle

12/11 - Cinq cent quarante-cinquième page de La Serpe, de Philippe Jaenada. Chapitre 16. Ne me restent plus qu'une petite centaine de pages à parcourir. Je me suis jeté là-dedans comme un sanglier affamé, oubliant toute autre lecture, désireux tout d'abord d'en avoir fini avec ce pavé avant la venue de l'auteur à Arcanes vendredi. Pourquoi ? Je n'en sais trop rien. Je n'ai pas vraiment de question à lui poser, il n'est même pas sûr que j'en profite pour avoir un dialogue avec lui, aussi court soit-il, non, tout simplement je ressens le besoin de m'être approprié ce gros volume à dos rouge avant d'en écouter  son créateur. Il faut dire maintenant que c'est un formidable plaisir que l'on prend, que je prends en tout cas, à suivre l'enquête de Jaenada en terre périgourdine (cela me rappelle aussi l'époque où mes amis Cathy et Didou vivaient là-bas à Périgueux, où je les rejoignais en général au printemps pour quelques jours). Alternant l'examen minutieux des multiples dossiers de l'affaire Henri Girard/George Arnaud avec les péripéties de son séjour, multipliant les digressions en usant avec virtuosité de la parenthèse (il n'est pas rare que des parenthèses soient insérées dans les parenthèses elles-mêmes), l'écrivain s'amuse aussi énormément, et l'ensemble est donc aussi drôle que tragique.

Au chapitre des digressions figurent celles qui ont trait à ses anciens livres, et tout particulièrement à La petite femelle, consacrée à l'affaire Pauline Dubuisson. Une autre affaire criminelle qui a défrayé la chronique, comme on dit, dans les années 50.


Ce qui me frappe ce sont les moments où les deux affaires collisionnent sur des détails, suscitant des coïncidences qui font littéralement sursauter l'auteur. Exemple, pages 329-330 :
"Lorsqu'il [Henri Girard] est stationné à Toul, dans le peloton des élèves officiers de réserve, et même s'il sait que Georges [son père] a gardé des souvenirs forts et douloureux de son temps dans l'armée, c'est à lui qu'il confie son désarroi de devoir mettre son cerveau au placard : "On continue de faire des conneries, mais énergiquement. On devient complètement idiot." Au début de l'été 1941, c'est à lui, et non à Bernard Lemoine ou à un autre, qu'il expose son idée d'une nouvelle version de Polyeucte, de Corneille : " A mes moments perdus, je me suis mis à écrire un genre de chef d'oeuvre, une tragédie. Trois actes, en prose. Ça s'appellera Pauline." (Je sursaute imperceptiblement sur mon siège. Je sors vingt secondes du fichier des Archives et passe sur Internet, Google : Pauline est la femme de Polyeucte. Rien de surnaturel, ça va. Mais avant de retourner à Henri et Georges, Pauline Dubuisson ayant tué Félix Bailly, je ressursaute un coup quand je lis que le père de la Pauline de Corneille s'appelle Félix.). " Ce sera en substance, le drame de Polyeucte envisagé par sa femme". Il conseille à Georges de lire la pièce en s'imaginant à la place de Pauline, car il estime que Corneille est passé complètement à côté du sujet tel que lui le conçoit : "Le bonheur de Pauline, construit avec beaucoup de peine et d'efforts, est démoli par une fatalité implacable." (J'oscille, cette fois, à la lecture de cette phrase (...)" [C'est moi qui souligne]
Autre exemple, page 385,  qui vient conclure un long aparté sur l'histoire de la tombe de Pauline Dubuisson à Essaouira, au Maroc. La jeune femme avait demandé à être enterrée sans aucune inscription sur sa tombe, pour que nul ne sache où se trouvait son corps. Des années plus tard, une bonne âme avait absolument voulu ériger une croix à son nom (une photo en parvint à Jaenada qui la fit insérer dans l'édition de poche du livre). Or, non seulement "une main justicière inconnue a décloué la planchette où figurait le nom de Pauline", mais la croix elle-même a été déplacée de plusieurs dizaines de mètres.
"(Puisque la croix, au milieu d'un buisson, ne marque plus rien, que la situer n'a plus d'importance, je peux dire ce qui m'a ahuri sur le plan du cimetière que m'a communiqué Gilles Texier. Elle se trouve entre la sépulture d'un Ernest et celle d'un Girard."
Il faut savoir qu'Ernest est le prénom du fils unique et adoré de Philippe Jaenada.

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