mercredi 29 novembre 2017

# 285/313 - In the heat of the night

20/11 - Je venais de me refaire Le Corbeau, mais ce soir-là j'ai enchaîné avec le film suivant sur Arte : Dans la chaleur de la nuit, de Norman Jewison. Impossible de le louper : le film était de 1967. Plaisanterie mise à part (l'année 67 a vu sans doute l'éclosion d'un nombre respectable de daubes que je ne me sens nullement tenu de me farcir), je renouais aussi avec un fil important, celui du racisme, abordé avec Une colère noire de Ta-Nehisi Coates.



La notice d'Arte présente ainsi le film :
"État du Mississippi. En faisant sa ronde, l’officier Wood tombe sur le cadavre d’un homme. Après que celui-ci a été identifié, il se rend à la gare pour mener l’enquête et aperçoit Virgil, un homme noir, qu’il embarque. Lors de l’interrogatoire, le shérif découvre que le suspect exerce le métier de policier en Pennsylvanie, et qu’il s’agit d’un expert en homicide mieux payé que lui. Une fois libéré, Virgil accepte à contrecœur de collaborer à l’enquête…
Cocktail explosif
En 1967, trois ans après l'adoption aux États-Unis de la loi sur les droits civiques, Norman Jewison compose son film comme un précipité chimique. Plongez un Noir élégant, policier scientifique disposant d'un savoir supérieur à ses collègues, dans le bain saumâtre d'une petite ville du Sud conservatrice et raciste et observez ce qui se passe. Le résultat est un film tendu, proche de l'explosion, mais toujours sous le contrôle d'un réalisateur qui a trouvé l'équilibre entre militantisme et polar. Respectant les codes du policier, le futur auteur de "L’affaire Thomas Crown "fait de l'imperturbable Sidney Poitier un héros troublant... et donc attirant. Pourtant, comme un pied de nez cruel à l'ambition du cinéaste, ce n'est pas l'acteur-symbole qui remportera l'Oscar, mais Rod Steiger, dans le rôle du policier blanc. "
Là-dessus rien à dire, Rod Steiger mérite amplement l'Oscar : raciste comme tout le monde dans la petite ville dont il dirige la police, le redneck mal embouché  va lentement évoluer au contact de Virgil Tibbs, interprété par un Sydney Poitier  qui a aussi mauvais caractère (impossible de lui reprocher ici de jouer le gentil noir) mais qui se révèle impressionnant d'intelligence et de courage. La scène où il gifle à son tour un notable blanc qui vient de le calotter est emblématique : "A black man had never slapped a white man back in an American film. We broke that taboo.", raconte Jewison dans une interview au Guardian, en novembre 2016. Le racisme ordinaire est proprement effrayant ; à cinquante ans de distance, on perçoit mieux l'ampleur de la ségrégation qui régnait alors, et on s'étonne moins de sa persistance encore aujourd'hui. Norman Jewison n'avait d'ailleurs pas pu tourner dans le Sud comme il en avait eu l'intention au début, car Poitier refusait de jouer en -dessous de la ligne Mason-Dixon*, dans le sud de la Pennsylvanie, depuis que lui et Harry Belafonte avaient été menacés par le Ku Klux Klan dans le Mississippi. Il tourna donc à Sparta dans l'Illinois, sur les bords du fleuve.


Pas de rapport en apparence avec Le Corbeau qui passait juste avant, mais une scène avait pourtant fort à voir avec une des scènes fortes de L'enfer, le film inachevé de Clouzot. A un moment donné, le suspect principal du meurtre de l'ingénieur essaie de passer dans l'Arkansas pour échapper à la police, il court comme un dératé sur le pont qui enjambe le Mississipi. Image si forte que c'est sur elle que le titre du film est surimprimé :


De même Serge Reggiani court sur le pont de Garabit, en proie à la jalousie dévorante, tandis que Romy Schneider glisse en ski nautique sur les eaux du lac.

Le viaduc, avec son train anxiogène pour Reggiani, est un des motifs esthétiques importants du film.


Comme en témoigne aussi un croquis préparatoire :


 Vous voyez, je ne peux m'empêcher de jeter des ponts entre les œuvres.

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Wikipedia : "Depuis la fin de la guerre d'indépendance des États-Unis, la ligne Mason-Dixon était la ligne de démarcation entre les États abolitionnistes du Nord et les États esclavagistes du Sud, jusqu'au Compromis du Missouri voté en 1820 qui déplace la limite à la latitude 36°30' Nord (frontière sud du Missouri) pour les territoires de l'ancienne Louisiane française, achetée en 1803.
Délimitant les frontières du Maryland avec celles du Delaware et de la Pennsylvanie, elle a été établie entre 1763 et 1767 par les deux géomètres britanniques Charles Mason et Jeremiah Dixon. Elle est située à environ 39°43'20" de latitude Nord entre le Maryland et la Pennsylvanie d'une part ; 75°47′18 de longitude ouest entre le Maryland et le Delaware1.
Les esclaves noirs qui utilisaient le chemin de fer clandestin devaient traverser la ligne Mason-Dixon pour tenter de gagner la liberté."

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