lundi 4 septembre 2017

# 211/313 - Sorciers, momie et une autre Aurélia

Donner à voir ici ce qui me remue le cerveau, m'émeut, m'instruit, me charme ou me bouleverse, c'est mon but quotidien. Je craignais il y a quelques jours une interruption de ce courant, mais voici que tout est relancé, et bel et bien, si bien même que je suis porté à modifier la forme même de ces billets : ils suivaient jusque-là une ligne unique, ne traitaient chaque fois que d'un sujet (avec ses dérives bien sûr), mais les apports d'hier soir et de ce matin changent la donne. Je n'ai pas envie de repousser leur approche à je ne sais quelle date, donc je choisis de diffracter chaque chronique en plusieurs sections, afin d'avancer de façon plurielle sur des thèmes différents. Je n'en ai pas terminé avec Ronsard et Vivre, le chef d’œuvre de Kurosawa, mais vont venir s'ajouter la sorcellerie (eh oui), et la reprise d'une méditation sur la mort (hum, c'est réjouissant tout ça...).

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J'ai employé ci-dessus l'adjectif pluriel, dont Starobinski use pour désigner les journées de Ronsard. Il se trouve que le poète dut se défendre contre les pamphlets de certains protestants, qui le dénonçaient  comme païen et épicurien, et pour ce faire rien de mieux, selon l'usage du temps, que de décrire les activités d'une seule de ses journées. Technique inaugurée par Sénèque (Lettre 83), "reprise et affinée par la conscience chrétienne, (...) [elle] constituera , à tout le moins à partir de Pétrarque, l'une des ressources de la rhétorique défensive et de la justification personnelle. (Nous verrons Rousseau s'en servir dans tous ses textes autobiographiques dès les Lettres à Malesherbes)."

Ce ne sont là qu'extraits d'un poème de plus de cinquante vers, où apparaissent entre autres les "trois commerces" (livres, amis, femmes), ce que louera Montaigne (Starobinski note aussi que "l'ordre des activités de Ronsard ressemble assez étroitement à celui qui règle la journée laborieuse, joyeuse et pieuse de Gargantua".)
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C'est en somme l'inverse que l'on observe chez Kurosawa : cet homme, Watanabe, qui suivit pendant toute sa carrière administrative une routine inébranlable, cet homme-là, démoli par la perspective de sa mort prochaine, ne peut se coucher sans soucy... Il va errer dans le Tokyo nocturne des plaisirs, et ce n'est qu'au matin du jour suivant qu'il va prendre la décision d'agir pour les autres. Dans l'extrait suivant, il va découvrir le surnom que la jeune fille lui donnait.


Cruelle révélation que ce surnom : La Momie. Dont il ne peut qu'accepter la vérité : il n'était bien qu'un mort-vivant derrière son bureau.

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Acheté ce matin à Arcanes Une autre Aurelia de Jean-François Billeter (Allia, 2017). Le philosophe et sinologue y raconte la mort de sa femme Wen, d'origine chinoise, le 9 novembre 2012, après 48 ans de vie commune. Enfin, il y rapporte surtout ce que furent pour lui les mois qui suivirent, à travers les notes qu'il prit presque chaque jour. Un livre bref, intense et juste, qui n'est pas me rappeler bien sûr le Journal de deuil de Roland Barthes. Deuil dont Barthes refusait la doxa même la "mieux attentionnée du monde", et que réfute aussi Billeter :
15 déc. "Deuil", mot affreux. Affreuse aussi la loi du silence qu'observent les autres, qui me parlent de tout sauf d'elle. Craignent-ils de me causer de la peine ? Ou ont-ils peur, au fond d'eux-mêmes." (p. 26)
Ou encore, page 37 : "5 Mars. "Deuil" ? Non. Il s'agit du passage d'un bonheur à un autre - de celui de vivre avec Wen à celui d'avoir vécu avec elle. Passage agité, il est vrai. Une tourmente éprouvante."

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Francis (Dusserre) me prête hier soir l'édition originale d'un livre dont je n'avais jamais encore entendu parler, ce qui m'a grandement étonné : Sorciers et jeteurs de sorts, par Marcelle Bouteiller (Plon, 1958). Marcelle Bouteiller était maître de recherches au CNRS et son livre s'honore d'une préface de Claude Lévi-Strauss, excusez du peu. C'est celle-ci que je lis en premier : le savant ethnologue rappelle un ouvrage antérieur Chamanisme et guérison magique (Paris, 1950) où Marcelle Bouteiller avait entrepris une comparaison entre certains sorciers sibériens et amérindiens : les chamans, et les "panseurs de secrets" européens, puis il écrit :
"Le livre qu'on va lire renouvelle cette démarche, mais à une échelle réduite et sur un nouveau plan. Un autre type de sorcier, le jeteur de sort, y est envisagé dans sa continuité historique depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours et, dans son unité géographique, grâce à des documents provenant en majorité d'une seule région : pentagone dont les villes de Romorantin, Sancerre, Nevers, Aigurande et Le Blanc marquent approximativement les sommets."[C'est moi qui souligne]
Je ne puis que vous inviter à lire le dernier billet de Rémi Schulz sur son site Quaternité : éberluant anniversaire. Nos démarches, dont j'ai pu écrire naguère qu'elles étaient parallèles, se sont récemment croisées, et les collisions que cela a engendrées sont assez "éberluantes"...

2 commentaires:

Francis Paul Charles a dit…

A propos du 215/313
Bien sûr que j’avais lu les articles sur Cheng, mais en avais-je tiré la « substantifique moelle » ? Pour revenir sur « cerf » « serre » et Cie, je précise que je n’ai rien à voir avec la bête aux bois mais que j’ai décidé unilatéralement que la « serre » en question venait de la langue d’Oc : petit mont, colline… Donc pas vraiment la Serre Chevalier trop haute, mais les douces côtes du Rhône-sud de la région de Vacqueyras, Gigondas ou du Château Neuf du Pape dont le doux nectar coule un peu – j’en suis certain –dans mes veines.
Francis DUSSERRE

Patrick Bléron a dit…

Le 215/313 n'est pas encore écrit... mais le 205/313, oui.
J'ai vérifié (mais je te croyais)et en effet les Dusserre seraient liés à la montagne. On les trouve surtout en Ardèche, Drôme, Hautes-Alpes, ce sont des rhodaniens.
En tout cas, tu fais bien de parler de Gigondas, car nous restons sur le thème de la joie. Je lis que le nom viendrait de "jucunditas", joie et allégresse ! http://www.gigondas-vin.com/vigneron/domaine-de-cabasse/