lundi 18 septembre 2017

# 223/313 - Franca, Galla, Anita

L'histoire de Louis Althusser et  Franca Madonia m'a d'une certaine façon beaucoup touché, et j'ai cherché à en savoir un peu plus. Mais il m'a été impossible de trouver par exemple une seule photo de Franca sur le web. Seul un article de Martine Rabaudy, publié le 19 novembre 1998 dans l'Express, m'a apporté quelques renseignements précieux. Titré "Le fou de Franca", il fait référence bien sûr au Fou d'Elsa d'Aragon. Oui, encore Aragon... On y apprend donc que quelques jours après le meurtre, Franca accourt à Paris et se présente à l'hôpital Saint-Anne. Mais les visites sont formellement interdites et elle est prise d'un malaise provoqué par une perforation de l'estomac. "Opérée en urgence, victime d'une complication hépatique, elle succombait à Villejuif, deux mois et demi après la mort d'Hélène, sans qu'Althusser, englouti dans son brouillard dépressif, l'apprenne.
En définitive, ce sont les deux femmes aimées d'Althusser qui ont péri à la suite de son accès de démence.

Galla Placidia (388-450)

Retournons maintenant au blason de Ravenne, qu'Althusser a donc découvert dans le même temps où se nouait la passion avec Franca. Yann Moulier Boutang parvint à faire dire au philosophe qu'il s'agissait d'un fragment d'une basilique de Galla Placidia, l'impératrice romaine qui vécut la chute de Rome en 410. Prise en otage par les Wisigoths, elle est mariée avec leur roi Athaulf à Forli, selon le rite germanique (et une seconde fois le 1er janvier 414 à Narbonne, selon le rite romain). Or Forli est la ville où habitait Franca, et où elle enseigna la philosophie. Toutefois, le blason ne provient pas du mausolée de l'Impératrice car il ne fut pas bombardé en 1944, en outre ses mosaïques sont en émail et non en pierres noires et blanches.

En fait deux églises ont été presque complètement détruites en août et septembre 1944 à Ravenne. "L'une d'entre elles, précise Boutang, l’Église de Saint-Jean l'Evangéliste, la plus proche de la gare centrale Viale Farini, durement touchée et restaurée en 1960, avait été érigée par Galla Placidia à la suite d'un voeu fait en 424 pendant un voyage maritime heureux de Constantinople à Ravenne." L'un des fragments du sol restauré est notre blason :


"L'adaptation du dessin, écrit Boutang, a gommé l'aspect préhistorique et déplaisant de la tête et du cou très large de l'animal qui tient plus du diplodocus que de l'oie en affinant le cou, en jouant sur les contrastes noir et blanc et en arrondissant la tête et l'oeil trop reptilien. De sorte que la couverture n'a gardé qu'un lointain reflet de cet aspect inquiétant. (...) En fait l'intrigue du rébus presque disparue de l'image s'est réfugiée dans le nom et le titre même de Galla Placidia. Rien ne dit dans l'archéologie qu'il s'agisse des oies du Capitole. En revanche le destin de Galla Placidia nous ramène bien à l'archéologie du pouvoir."


Selon Boutang, si Althusser a longtemps tu le nom de Galla Placidia c'est qu'il était associé au thème de la chute de Rome, elle-même métaphore de la catastrophe contemporaine et familiale. Pour lui, c'est un bombardement allemand qui détruisit l'église en 1944.
"Là, il se trompe ou veut se tromper. Ironie classique de l'histoire, ce sont la 8e armée britannique et canadienne ainsi que la 28e Brigade Garibaldi qui bombardèrent Ravenne fin août 1944. La griffe de la catastrophe européenne se surimprime sur l'histoire romaine et sur la double fondation de l'Empire et de l’Église. Cette catastrophe c'est la guerre et c'est aussi l'Allemagne. Louis Althusser apprit l'allemand et donc la possibilité de lire Marx dans le texte en camp de prisonniers de 1940 à 1945. Reçu à l’École normale en 1939, mobilisé, il ne ressortit du stalag qu'à vingt-cinq ans. Quant au bombardement "allemand", il s'était effectivement penché sur le berceau familial vingt ans plus tôt. Son oncle Louis avait été tué au-dessus de Verdun dans son avion. Plus haut dans le temps, quarante-trois auparavant, comme beaucoup d'Alsaciens refusant l'annexion au Reich, la famille Althusser de Colmar avait émigré en Algérie."
De notre strict point de vue se rapportant aux coïncidences, trois échos sont ici à relever. Notons tout d'abord la brigade Garibaldi,  renvoyant à la phrase de Palou : "Je pensais à Garibaldi et à Anita, la maîtresse passionnée". Anita, qui meurt précisément de la fièvre typhoïde à Ravenne le 4 août 1849.

Anita Garibaldi (1821-1849) N'y a-t-il pas un air de famille avec Galla Placidia ?
Août, justement, en second lieu. Mois de la présence à Ravenne, mois du bombardement de Ravenne, mois funeste chez Soljenitsyne.
Enfin, le thème de la chute sous les coups de boutoir des envahisseurs barbares se reflète dans une autre phrase de Palou : "Je voulais voir la Ravenne des premiers temps, celle des fastes jours d'un Exarquat, constellé de pierreries et d'or, qui est comme la fin d'un monde tumultueux, et l'avortement grandiose d'une civilisation vouée aux coups de l'accoucheur barbare. Je m'endormis."

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