Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers, écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde ;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité. (...)
Baudelaire, Paysage
J'aimerais tout citer de l'étude si précise et si pertinente du grand critique Jean Starobinski, mais il me faut presser le pas et conclure au moins momentanément avec Baudelaire. Paysage, écrit-il, est le poème liminaire et programmatique des Tableaux parisiens : "Dans la ville moderne, telle qu'elle s'étend devant lui, clochers et tuyaux, images emblématiques de l'ancien ordre du religieux et de l'activité industrielle récente, se juxtaposent de manière délibérée et significative. (...) Or, dans ce monde conflictuel, où la réalité du travail profane concurrence, jusqu'à l'évincer, la régulation sacrée de l'existence, le poète n'a pas congédié la mémoire du sacré. Il se compare aux astrologues, c'est-à-dire à ces savants d'un autre âge, qui entretenaient un commerce suspect avec les signes d'en haut [rappellons-nous l'astronome du psautier de Blanche de Castille] Son projet proclamé est celui d'une anachorèse ; son désir est de construire, pour lui seul, la cellule de l'existence recluse :
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
La règle de cette vie érémitique est celle du rêve créateur, et le sacré qui la justifie n'est plus celui de la religion, mais celui de l'art, où le poète fait prévaloir sa "volonté" ; celle-ci, dans la dimension de l'imaginaire, ne craint pas de rivaliser avec la volonté divine, telle que la Genèse en décrit l'ouvrage. L'artiste qui tire "un soleil" de son "cœur" renouvelle le fiat cosmogonique." [C'est moi qui souligne]
L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.
*
Nul n'a plus exalté au XXe siècle le rêve créateur qu'André Breton. Dans un livre stimulant paru en 2014, 24/7, Le capitalisme à l'assaut du sommeil, l'historien de l'art américain Jonathan Crary, l'oppose à Freud, qui cantonne les rêves à la sphère privée, participant ainsi à sa dévalorisation, à un effacement toujours plus grand de la possibilité d'une signification transindividuelle. "Rares furent au XXe siècle, écrit-il, les voix à s'élever pour défendre l'importance sociale du rêve - parmi elles, l'une des plus célèbres fut celle de Breton, avec ses pairs du groupe surréaliste, dont Desnos. Stimulé par le travail de Freud mais conscient de ses limites, Breton insistait sur un rapport de réciprocité créatrice ou de circulation entre les rêves et les événements de la vie quotidienne. Son intention était de détruire toute opposition entre le rêve et l'action pour affirmer au contraire que l'un nourrissait l'autre." (p. 121)
On a vu que le texte de Jean Palou, Présence à Ravenne, a suscité un rêve chez André Breton, dont celui-ci a rendu compte dans sa dédicace. Voici donc le récit en question, étonnant en ce que Palou le revendique “vrai de point en point”, récit à ma connaissance indisponible sur le web (je l'ai en tout cas vainement cherché), photocopié donc en 1992 et scanné ce matin pour vous le présenter.
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