- Mon frère Raphaël habite à présent l'île de Ré, je ne l'ai pas vu depuis longtemps. Dépose-moi à Rochefort, de là, je prendrai un car jusqu'à La Rochelle. Je rentrerai demain."
Fred Vargas, Quand sort la recluse, p. 276.
A Sophie et Jean-Claude,
L'Attracteur étrange est un merveilleux organisateur de voyage. Sans que j'ai rien demandé, on me proposa d'un côté de passer trois jours à Surgères, en Charente-Maritime, et d'un autre côté de venir en visite sur l'île de Ré. Comment refuser ce qui apparaissait comme un véritable pèlerinage vargasien ?
Ré reste attaché pour moi au souvenir de nos premières vacances en dehors du cercle familial des grands-parents, les cours de ferme, les chemins dans le bocage, les fosses et les pêcheries qui constituaient l'unique horizon de nos pérégrinations extra-scolaires. Un copain de régiment de notre père, compagnon d'Algérie, Michel Merle, habitant du village charentais au nom charmant de Condéon, nous faisait profiter de la villa d'un ami, dans la commune de Loye, me semble-t-il. C'est sans doute à cette occasion que je vis l'océan pour la première fois, lequel me fit une impression terrifiante, à tel point que je retenais mon frère pour ne pas qu'il s'avance trop près de cet infini liquide qui me semblait prêt à nous engloutir.
Sur la plage de Sainte-Marie de Ré que j'ai arpenté avec mes amis et Moon, leur gros chien affable qui ne rêvait que de rejoindre l'ogre bleu, ces peurs enfantines étaient bien loin, d'autant plus que le temps était d'une douceur inespérée pour une fin d'octobre, aux parages d'Halloween. Le charme de l'île opérait puissamment, j'aurais bien pris pension chez Raphaël Adamsberg.
Vingt-quatre heures plus tard, j'étais de retour sur le continent, et posait le pied à Surgères, entre Aunis et Saintonge, retrouvant enfants, famille, et petit chien noir et blanc surnommé évidemment Idéfix. De là, le lendemain, nous gagnâmes Rochefort, mon idée fixe à moi étant bien sûr Pierre Loti.
Après visite de la magnifique frégate Hermione, et pique-nique dans un des parcs de la ville, peut-être celui-là même où Alain-Fournier retrouva brièvement Yvonne de Quièvrecourt, hélas pour lui mariée et mère de deux enfants, nous cherchâmes la maison de l'écrivain (Loti pas Alain-Fournier, qui retourna vite à Paris). Déception, celle-ci n'est plus visitable, elle est en cours de restauration (et les travaux n'ont semble-t-il pas encore vraiment commencé). Il faut se rendre au Musée Hèbre de Saint-Clément, à deux pas, où l'on propose une visite virtuelle en 3 D. C'est à seize heures, trop tard, nous ne la ferons pas. Mais qu'importe au fond, le musée abrite des souvenirs de Loti, et des collections d'art océanien, africain, asiatique, suffisamment riches pour ensemencer les rêves des mois à venir.
Maison de Pierre Loti |
J'achète un livre de Bruno Vercier : Pierre Loti, d'enfance § d'ailleurs, paru chez ce petit éditeur de Saint-Pourçain sur Sioule que j'ai plaisir à retrouver tous les ans à Blois, Bleu autour. C'est dans cet essai sur le rôle fondamental de l'enfance dans la genèse et les formes de l'oeuvre de Loti que je découvre au retour à Surgères, dans la chambre d'hôte, une nouvelle confirmation de l'intrication entre l'écrivain et Vargas autour du motif de l'araignée.
Bruno Vercier écrit qu'il n'y a pas eu vraiment de rupture entre les rites de l'enfance et ceux de l'âge adulte. "Ainsi le 14 juillet 1889 répète celui de 1885 à Nagasaki qui déjà répétait ceux de l'enfance":
"Hélas ! je songe beaucoup, toute la journée, à ce 14 juillet de l’an dernier, passé dans un si grand calme, au fond de ma vieille maison familiale, la porte fermée aux importuns, tandis que la foule en gaité hurlait dehors ; j’étais resté jusqu’au soir assis à l’ombre d’une treille et d’un chèvrefeuille, sur un banc où jadis, pendant les étés de mon enfance, je m’installais avec mes cahiers, en prenant un air de faire mes devoirs. — Oh ! ce temps où je faisais mes devoirs… avais-je assez la tête ailleurs, — aux voyages, aux pays lointains, aux forêts tropicales devinées en rêve… À cette époque, aux environs de ce banc de jardin, dans certains creux des pierres du mur, de vilaines bêtes d’araignées noires habitaient, toujours au guet, le nez à leur fenêtre, prêtes à sauter sur les moucherons étourdis ou le mille-pattes en promenade. Et un de mes amusements était de prendre un brin d’herbe, ou la queue d’une cerise, pour chatouiller tout doucement, tout doucement, ces araignées dans leur trou ; elles sortaient alors brusquement, très mystifiées, croyant avoir affaire à quelque proie, — tandis que je retirais ma main avec horreur… Eh bien, le 14 juillet de l’année dernière, m’étant rappelé ce temps à jamais envolé des thèmes et des versions, et ce jeu d’autrefois, j’avais parfaitement retrouvé les mêmes araignées (ou du moins les filles des anciennes) postées dans les mêmes trous. Et, en les regardant, en regardant des brins d’herbe, des lichens, il m’était revenu mille souvenirs des premiers étés de ma vie, souvenirs qui avaient dormi pendant des années contre ce vieux mur, à l’abri des branches de lierre…"(Madame Chrysanthème, Calmann Lévy,Avec ces araignées postées dans leurs trous, comment ne pas penser aux recluses de Vargas ?
2 commentaires:
Ce fût un plaisir pour nous 3 de te recevoir. Tu aurais pu sans que je m'en offusque faire paraitre la photo de la rétaise enbretagnée...
Merci Sophie. Une prochaine fois, je n'hésiterai donc pas. Ce sera peut-être une bretonne enrétaisée...
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