samedi 6 juillet 2019

De la baleine aux ronds de Janmari

Au cours de ma réflexion sur le livre d'Esther, j'avais initié une recherche sur le site au sujet du rabbin Josy Eisenberg, et j'avais donc retrouvé cet article de 2018 titré Le pain de la honte. Une illustration montrait Jonas rejeté par la baleine, une enluminure de la Bible de Jean XXII, de l'École française du XIVe siècle.

Copie d'écran du 23 juin 2019
Or, en regard, on pouvait lire l'annonce d'un article du Stalker, Asensio au Kosovo ou la baleine dans le caniveau. Une coïncidence spatiale dont nous avons déjà eu un exemple récemment et qui me conduisit à lire ce billet où Juan Asensio raconte son invitation au Kosovo, et en profite pour étriller au passage Mathias Enard et... Alain Damasio : "Comme Alain Damasio, Mathias Enard parle comme il écrit; non, je me montre injuste car Alain Damasio écrit encore plus mal qu'il ne parle." Ce qui est un peu surprenant quand on l'a vu sur le même site accueillir un article de Grégory Mion, très élogieux sur son précédent roman La Horde du Contrevent. Ceci dit, c'est tout à son honneur de faire place à qui ne pense pas exactement comme lui.

Mais ce qui me frappe avant tout, c'est la photo qui est en tête de l'article, un détail d'une photo représentant "la sculpture (Heroinat Memorial), assez réussie, d'un visage de femme composé de ceux de 20 000 autres, violées durant la Guerre du Kosovo."

Et si cette photo me frappait, c'est qu'elle m'évoquait puissamment une autre photographie découverte peu de temps avant, et qui n'était autre que la photo de couverture du Journal de Janmari, livre publié par les éditions de l'Arachnéen :


Mêmes alignements de petits ronds sur fond noir.

Voici la présentation du livre sur le site de l'éditeur :
"Jean-Marie J., dit Janmari, a douze ans lorsque Fernand Deligny décide de créer un réseau d’enfants autistes, « autour » de lui, dans les Cévennes, en 1967. L’enfant est mutique, vif, adroit ; il découvre des sources enfouies, attrape les guêpes par les ailes sans les blesser, habite le hameau de sa présence forte et de ses trajets immuables. À la fin de sa vie, Gisèle Durand, présence proche de Janmari, lui tend un cahier à dessin. Jour après jour, il trace des ronds et des vaguelettes ; le moindre geste ou le moindre son de Gisèle Durand l’incite à varier les formes, à inscrire un cercle, un rectangle, puis à reprendre ses motifs. Ce Journal recueille la trace d’un geste primordial, "d’avant la lettre", la pulsation progressivement affaiblie du rythme de la vie et de la poésie."
Je découvre un peu plus tard en lisant la correspondance de Fernand Deligny avec François Truffaut que Janmari (aujourd'hui décédé) est originaire de Châteauroux.



Mais encore...

Lettre de François Truffaut à Fernand Deligny, Paris, 15 novembre 1968

"Cher ami,
Je suis très content de recevoir de vos nouvelles.
Ce que vous me dîtes à propos du garçon de Châteauroux qui est avec vous m’intéresse infiniment, car je compte tourner, l’année prochaine, un film intitulé l’Enfant sauvage et qui est tiré d’un texte que vous connaissez probablement : le mémoire ou plutôt les deux mémoires de Jean Itard sur Victor de l’Aveyron, rédigés tout au début des années 1800.
Si je n’étais pas obligé de quitter Paris dans quelques jours pour l’île de la Réunion d’où je ne reviendrai qu’au début de l’année prochaine, j’aurais pris aussitôt le train ou ma voiture pour venir vous voir.
Je suppose que votre garçon est trop fragile pour qu’il soit question d’envisager de le faire tourner et de lui faire jouer le rôle de « l’enfant sauvage », mais la description que vous me donnez de son comportement est tellement proche de ce qu’Itard a décrit dans ses textes et de ce que nous voulons obtenir dans le film que je suis extrêmement troublé.
Je crois, en tous cas, que votre garçon devrait nous servir de modèle à la fois pour choisir le garçon qui jouera effectivement le rôle et pour nous inspirer un style de comportement corporel. (...)"

Jamais je n'en ai entendu parler ici. L'identité de Janmari me reste inconnue.

Ce n'est pas tout. Le lendemain, je lis un article de Janjac Birgé sur le nouveau site du scénographe Raymond Sarti. Cliquant "au hasard" parmi les projets présentés, je débouche sur “Des souffles de vie”, un spectacle de danse contemporaine, avec une chorégraphie d'Hela Fattoumi et Eric Lamoureux, au Théâtre de la Bastille. L'ordonnancement des projecteurs sur fond noir, leur reflet sur la scène me font une nouvelle fois penser aux ronds de Janmari.


C'est peut-être plus éloquent encore sur le dessin de préparation :


En juillet, j'allais retrouver cette récurrence. Mais c'est une autre histoire.

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