E. H. N. Patterson, 1875. |
Cette enclave sablonneuse se signalait, à l'époque, par deux magasins, une épicerie, deux hôtels, plusieurs maisons d'habitation et un hebdomadaire, l'Oquowka Spectator, feuille fondée par un Virginien du nom de J.B. Patterson, auteur d'une vie du chef indien Faucon noir et d'un fils prénommé Edward Horton Norton qui devait pour son vingt et unième anniversaire (le 27 janvier 1848) l'héritier de l'Oquowka Spectator et d'une petite fortune. Ce jeune homme enthousiaste admirait éperdument Edgar Allan Poe : auréolé d'un tel nom, un mensuel d'élite à cinq dollars, comme le Stylus, lui promettait monts et merveilles. Il écrivit au poète qu'il était prêt à financer l'entreprise : il laisserait à Mr Poe le contrôle absolu de la rédaction et la moitié des bénéfices." (Georges Walter, p. 450)Edgar répondit immédiatement, acceptant bien entendu l'offre, prévoyant déjà un premier numéro en janvier 1850, dessinant lui-même la maquette de couverture sus la forme d'une main traçant les cinq premiers caractères du mot grec Aletheia, Vérité. Mais sa mort tragique en octobre 1849, à Baltimore, ruinera cet ultime espoir.
Pas plus que le Stylus de Poe, le Stylus d'Adam Walker ne verra le jour, tué dans l'oeuf par le meurtre perpétré par Born à New York.
Cela m'amuse bien sûr de retrouver ici ce nom de Patterson qui m'occupe depuis fin février (je sais, ici il prend deux t). Cela a dû aussi amuser Poe qui avait donné ce nom au second de la Jane, le navire qui avait recueilli Pym dans l'Antarctique, à la fin des Aventures d'Arthur Gordon Pym. Or, Jules Verne, dans Le Sphinx des glaces, qui se veut une suite du roman de Poe, raconte que la goélette L'Halbrane du capitaine Len Guy croise un morceau d'iceberg à la dérive, renfermant un cadavre gelé qui se révèle être celui de Patterson. .On retrouve un livre de bord dans sa poche. Cécile Wajsbrot, dans sa GÉOGRAPHIE RÉELLE ET IMAGINAIRE DANS LES CHAPITRES 7, 12 et 13 DU SPHINX DES GLACES, estime que nous sommes là au tournant véritable du roman :
« La Jane… île Tsalal… par quatre-vingt-trois… Là… depuis onze ans… Capitaine… cinq matelots survivants… Qu’on se hâte de les secourir. » Voilà l’authentification définitive de l’affirmation du capitaine Len Guy — l’écrit qui authentifie l’écrit. Patterson était à bord de la Jane (même si son nom n’apparaît qu’une fois dans le récit de Poe). Arthur Pym a bel et bien existé — « Edgar Poe avait donc fait œuvre d’historien, non de romancier. »La lecture de Cécile Wajsbrot s'avère passionnante : elle montre comment s'affirment alors les liens de parenté entre les personnages des deux ouvrages, comment se mêlent les noms réels et imaginaires, la fiction et la réalité : "Après l’île Tristan d’Acunha, le bateau et le roman font route vers les Falklands. Prenant désormais fait et cause pour ce qu’il avait d’abord nié (le même revirement se produit dans Vingt mille lieues sous les mers), le narrateur se propose d’accompagner le capitaine dans sa quête – puisqu’il « ne s’agit plus d’un roman signé Edgar Poe mais d’un récit véridique signé Patterson ». Passant du récit d’Arthur Pym dont il était d’abord exclusivement question à celui de Patterson, les épisodes relatés en acquièrent une réalité objective d’autant plus incontestable."
L’Halbrane pris dans les glaces. (illustration de George Roux) |
"Le réseau intriqué se renforce au chapitre 9 où apparaît, tandis que de nouveaux marins viennent d’être recrutés, un étrange personnage nommé Hunt, qui veut se joindre à l’équipage. Un « être bizarre », ainsi qu’il se fait jour, « des yeux de faucon étincelants », précise Jeorling, employant explicitement « une expression d’Edgar Poe » qui se trouve, cela, il ne le dit pas, dans L’Homme des foules. « Et pour tout dire, si Edgar Poe l’avait connu, il l’eût pu prendre comme type de l’un de ses plus étranges héros », commente le narrateur au chapitre 11 — un héros, donc un habitant du territoire romanesque…On verra bientôt une nouvelle figure de cette intrication, qui lie souverainement les oeuvres entre elles en les entrelaçant dans un même mouvement avec les données biographiques de leurs auteurs.
Ainsi, la fin du disbelief quant à la réalité du récit de Poe, loin de mettre un terme au va-et-vient constant entre les deux romans, le renforce au contraire, entérinant ce double mouvement paradoxal qui fait que plus la réalité du récit de Poe est affirmée, plus elle s’intègre dans le réseau métaphorique de l’œuvre d’Edgar Poe, plus elle nous entraîne au cœur du roman de Verne."
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